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L’auteur offre un passionnant voyage de part et d’autre de la Méditerranée, dans une fresque romanesque qui mêle habilement petite et grande Histoire.
Tobie Nathan est psychologue de formation et l’un des grands tenants de l’ethnopsychiatrie, discipline née au début du 20e siècle qu’il a découverte en suivant les cours de Georges Devereux à l’École Pratique des Hautes Études. Cette rencontre décisive et sa conversion à ce nouveau champ de recherches sont relatées dans “Ethno-roman” (Grasset, 2015) qui a reçu le Prix Femina Essai.
L’influence des milieux familiaux et culturels dans l’émergence de troubles psychologiques est au cœur de l’ethnopsychiatrie. Cette grille de lecture se retrouve dans son nouveau livre “La Société des belles personnes”. La plupart des personnages que l’on y rencontre sont des êtres à la personnalité complexe, souvent tourmentés, en proie au déterminisme du milieu dans lequel ils ont grandi.
Le roman s’ouvre sur une curieuse scène d’enterrement animée par deux sociétés funéraires l’une juive et l’autre égyptienne, qui se rejoignent au cimetière de Pantin pour dire adieu au héros. Autour de rituels millénaires, accompagnés de chants et d’instruments de musique traditionnels, ce sont les deux origines de Zohar Zohar qui entrent en résonance, lui qui est né au Caire dans une famille de confession juive. Face au cercueil se tient François, qui n’a retrouvé son géniteur que quelques mois plus tôt, quand Zohar était déjà un vieillard. Ce diplomate du Quai d’Orsay, qui connaît bien le Moyen-Orient, va découvrir le parcours hors-norme de ce père mystérieux et être amené à porter un regard nouveau sur l’histoire du siècle écoulé.
La plume alerte et musicale de Tobie Nathan recrée avec brio l’atmosphère bouillonnante du vieux Caire des années 1950. Zohar tient un club, où se retrouve toute la bonne société cairote. On y rencontre notamment Farouk, “roi de timbre-poste” obèse et ramolli par les plaisirs qui, bien que grand amateur de femmes juives, mène une politique ouvertement antisémite. À cette époque, les membres très actifs de la confrérie des Frères Musulmans, n’hésitent pas à remettre au goût du jour “Les Protocoles des Sages de Sion” et “Mein Kampf” qui sont traduits en arabe. En 1952, un terrible incendie ravage Le Caire sans que l’on ne sache exactement qui en est à l’origine. Les émeutes qui suivent s’en prennent aux étrangers et surtout aux Juifs qui une fois de plus jouent le rôle commode de boucs émissaires. Zohar subit de plein fouet ces violences, notamment de la part d’un ancien nazi, l’inquiétant Dieter Boehm. Ce “serpent aux yeux clairs” qui après une longue cavale a trouvé refuge en Égypte profite du contexte troublé pour donner libre cours à son antisémitisme viscéral. En parallèle du récit de l’exode de Zohar, qui choisit de fuir pour l’Italie en 1952, avant de gagner la France, c’est le parcours de ce SS fanatique qui est raconté, offrant au lecteur une plongée glaçante au cœur de la spirale du mal.
Le thème de la vengeance occupe une place prépondérante dans le roman dont l’action se déroule sur près de soixante-dix ans. Tobie Nathan questionne la manière dont certaines blessures indélébiles que les protagonistes ont eues à subir en viennent à façonner le cours même de leur destinée. Ni le temps, ni l’éloignement géographique ne peuvent permettre l’oubli. La vengeance est comme un esprit malin qui escorterait en permanence peuples et individus, n’attendant que le moment propice pour s’exprimer.

Jean-Philippe GUIRADO
contact@marenostrum.pm

Nathan, Tobie, “La société des belles personnes”, Stock, “Bleue”, 19/08/2020, Disponible, 1 vol. (419 p.), 22€.

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