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Publié en 1954, “L’Été” rassemble huit courts essais d’Albert Camus qui nous transportent sur les rivages de la Méditerranée et les eaux poétiques d’une pensée en mouvement.

Il est certains textes, certains auteurs, dont on redoute à dire quelque chose, comme si ce quelque chose pouvait se heurter à une espèce d’opinion commune ou, pire encore, ne rien heurter du tout. De ce recueil de Camus, je ne me rappelais que la beauté violente de sa prose. Violente car reçue comme une gifle : sans préparation. Sa mythologie m’avait envoûté. Littéralement. Je veux dire qu’elle me laissa un souvenir lumineux et brumeux, confondu dans la chaleur dorée d’une saison et la confusion d’un souvenir qui s’efface.
L’essayiste rapproche Oran et Alger, Tipasa et l’antique Troie, et ainsi se rejoignent les territoires immenses de “la mer la plus vieille du monde”. L’été est la saison de la Méditerranée. Le titre saisonnier surprend. À la minéralité poussiéreuse d’Oran se mêlent aussi la pluie et l’hiver, l’espoir des amandiers en fleur et l’énigme du pessimisme. La prose camusienne fait éclore la fleur du symbole. Les images mercantiles qui entourent aujourd’hui l’été nous détournent ontologiquement du mythe, comme elles nous détournent de la beauté.
Or, l’unité fondamentale de ces essais se situe sans doute dans ces deux thèmes : le symbolisme et la beauté. À l’inverse de la pomme grenade qui renferme en un seul fruit des centaines de grains similaires, “L’Été” présente d’abord ses différences.
Il y a d’abord l’indignation contre la laideur du monde que vient cingler l’ironie lapidaire dans “Le Minotaure ou la Halte d’Oran” ou contre ces “villes sans passé” au quatrième essai. Ce non-sens trahit une quête désespérée mais non sans espoir de signification et de beauté. “Nous avons exilé la beauté, les Grecs ont pris les armes pour elle”, regrette-t-il dans “L’Exil d’Hélène”. La puissance de l’ironie lui permet de prendre de la distance, c’est la force de Camus. Il syncrétise ses expériences en une série de réflexions. Rédigées entre 1939 et 1953, elles reconstituent les différents étages de sa philosophie. De l’absurde à la révolte, de la révolte à l’amour, synthèse d’une sagesse intérieure nourrie de l’expérience d’un homme dans et contre son époque.
“Notre raison a fait le vide.” Plus importante que la philosophie, la beauté. Il la convoque dans une prose poétique intime, dévoilant ses souvenirs, ses angoisses, ses impressions. Il la puise encore dans une mythologie qu’il revisite à l’aune de ce qu’il vit, car “les mythes n’ont pas de vie par eux-mêmes. Ils attendent que nous les incarnions” écrit-il dans “Prométhée aux Enfers”. Ainsi, nous vaincrons les ténèbres d’une époque qui le révolte, les noirceurs de la nostalgie qui l’étreint, non en allumant “dans un ciel ivre les soleils que nous voulons”, mais en découvrant en nous-mêmes un invincible soleil.
À la relecture, “L’Été” est encore plus beau que dans mon souvenir. Une œuvre peut-elle, comme les meilleurs breuvages, acquérir avec le temps davantage d’arômes ? Le souvenir s’embellit ; le vin s’affine. Un chef-d’œuvre, lui, n’attend que d’être lu, relu, pour laisser éclater sa délicate poésie. Goûtons avec jubilation, sans modération, la subtile profondeur d’un des plus beaux ouvrages d’Albert Camus.

Marc DECOUDUN
contact@marenostrum.pm

Camus, Albert, “L’été”, Gallimard, “Folio. 2 euros, n° 4388”, 11/05/2006, Disponible , 1 vol. (130 p.), 2,00€

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