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En 480 avant J.-C., dans le contexte des guerres médiques, la bataille navale de Salamine, opposant les Grecs aux Perses fait rage dans les eaux du Golfe Saronique. Dans les récits mythiques, la guerre est une affaire d’hommes : Hector ne renvoie-t-il pas au logis son épouse Andromaque du haut des remparts de Troie assiégée ? Cependant, au large de Salamine, alliée à la flotte impériale du Grand Roi Xerxès, se trouve le vaisseau d’Artémise d’Halicarnasse. Il s’agit bien d’une femme originaire d’une cité grecque d’Asie Mineure. Bien que les Athéniens remportent cette bataille majeure, la capitaine de vaisseau parvient à s’échapper, non sans avoir utilisé la ruse contre ses adversaires et même ses alliés. Nous avons peu de traces de cette guerrière, mais Hérodote l’historien-poète né aussi à Halicarnasse, mentionne sa participation à ce conflit au livre VII des Histoires. Il y explique le déroulement de la bataille, et une citation en particulier qui concerne les conseillers du roi perse, interpelle les contemporains que nous sommes :

Des autres officiers, je ne fais pas mention, ne m’y sentant pas obligé, mais je fais une exception pour Artémise, que j’admire fort d’avoir pris part à l’expédition contre la Grèce, bien qu’étant une femme.

Déconstruire les stéréotypes de genre

Depuis les années 1970, dans le champ des sciences sociales outre-atlantique, un vaste renouvellement a eu lieu faisant émerger les gender studies. Ces études s’attachent à démontrer que le genre est une construction sociale. Il ne s’agit donc plus d’étudier les groupes sociaux sous l’unique angle de la catégorie de sexe, car ce serait gommer la grande variété des situations. Des historiennes, comme Joan W. Scott, se sont donc tournées vers l’étude des femmes afin d’étudier ces actrices de l’histoire trop souvent oubliées et déconstruire les stéréotypes qui y étaient associés. Dans Artémise, Violaine Sebillotte Cuchet, spécialiste de l’histoire des femmes et du genre, s’inscrit dans ce courant historiographique pour « mettre en lumière la variété des régimes de genre qui coexistaient dans l’Antiquité ». Elle change notre regard de « modernes » sur le passé puisqu’elle prouve que la distinction des groupes sociaux dans la Grèce antique est davantage fondée sur l’opposition des statuts libres / esclaves. L’historienne d’Artémise prône même, ce qui nous semble judicieux, une « histoire mixte intégrant des femmes et des hommes à parts égales »

Une « invisible » de l’Histoire

Dans Artémise, Violaine Sebillotte Cuchet propose un portrait de ce personnage antique, qui ne rentre pas dans les « grilles d’analyse utilisées par les spécialistes de l’Antiquité classique ». Longtemps, ces derniers ont voulu en effet voir dans l’histoire de la guerrière Artémise un exploit anecdotique, au mieux exceptionnel et unique, car elle était justement une femme. N’est-ce pas ce que dit d’ailleurs Hérodote ? Son existence a même été mise en doute par l’auteur romain Plutarque, repris par les humanistes à la Renaissance. L’historienne veut ici, au contraire, à travers cette « figure populaire de l’Antiquité », écrire l’histoire des femmes grecques afin de montrer la diversité des rôles qu’elles pouvaient tenir dans les sociétés antiques, et ainsi rendre « visibles les actrices de l’histoire qui sont restées trop souvent invisibles ». À travers l’analyse d’un corpus varié, notamment sur les discours qui entourent Artémise ou des femmes mythiques comme Pandore ou les Amazones, ou encore des traités médicaux qui questionnaient déjà la distinction entre sexe et genre, nous découvrons une vision nouvelle et inattendue sur la place des femmes dans l’Antiquité classique. Il faut dire que l’écart est parfois grand entre les textes d’orateurs ou de philosophes, et les données que fournissent l’archéologie et l’épigraphie dans ce domaine. Nous sortons de cette étude avec la certitude que certaines femmes ont eu une place majeure dans l’espace public, à l’image d’Ada, épouse du dynaste Idrieus de Carie, région d’Halicarnasse. Cette reine est en effet associée au pouvoir de son mari, puisqu’elle émet également des décrets au IVe siècle avant J.-C. Par conséquent, la lecture d’Artémise qui a eu une vie « ordinaire », permet d’éclairer notre connaissance historique sur l’ensemble des femmes des cités grecques.

Sebillotte-Cuchet, Violaine, Artémise : une femme capitaine de vaisseaux dans l’Antiquité grecque, Fayard, 02/03/2022, 1 vol. (443 p.), 24€.

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