Décédé le 27 décembre 1991, le prodigieux écrivain Hervé Guibert est revenu cette année dans l’actualité littéraire. Dans un essai biographique publié chez Louison éditions, dans la collection « Dissidents », Maxime Dalle brosse un portrait admiratif de l’auteur disparu il y a vingt ans.
Hervé Guibert était-il un dissident ? Ami de Michel Foucault, de Mathieu Lindon, de Patrice Chéreau ou d’Isabelle Adjani, pigiste au « Monde », il n’appartenait pourtant à aucun groupe, à aucune école esthétique, à aucune communauté. Faut-il être à la marge pour être dissident ? Il est en tout cas un des premiers à avoir exposé le sida au grand jour, à l’avoir dévoilé dans le livre qui l’a rendu célèbre, « À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie« . Sa participation à l’émission « Apostrophe » fait sensation. Interroge. Mets mal à l’aise aussi. Et fait pleurer. En découvrant adolescent l’œuvre d’Hervé Guibert, ce coup de foudre littéraire, qui ne s’est guère reproduit depuis, m’a fait verser bien des larmes : sa beauté angélique sur ses portraits en noir et blanc et sa disparition prématurée à trente-six ans, au moins autant que son œuvre littéraire, a bouleversé mon âme.
Sans aller jusqu’à l’âme, on sent le regard fasciné de Maxime Dalle – qui avoue avoir découvert récemment cet écrivain et dévoré tous ses livres – devant cette « séquence pornographique » sur le plateau de Bernard Pivot, « où la vérité crue interrompt le souffle des téléspectateurs ». On » contemple un mort-vivant. Derrière ce masque malade, éclôt la voix hésitante de cet homme, Hervé, qui a décidé de tout dire et de tout raconter ». Bien sûr, comme dans beaucoup de ses livres, Guibert explore les limites de l’autofiction : s’il s’arrange avec les faits, mais il ne nous épargne rien. Surtout, il ne s’épargne pas lui-même, témoignant des moindres altérations de son corps malade jusqu’au dernier moment, comparant son corps à ceux des rescapés d’Auschwitz, le mettant à distance aussi : « J’ai l’impression qu’il va s’en sortir puisque des gens sont bien revenus d’Auschwitz, d’autres fois il est clair qu’il est condamné, en route vers la tombe, inéluctablement » écrit-il dans « Le Protocole compassionnel« .
À la façon des biographies de Zweig, « Dans les braises d’Hervé Guibert » permet d’interpréter la vie de l’auteur à l’aune de sa flamboyance, de sa fulgurance. Pour Maxime Dalle, Guibert aurait toujours eu le sentiment d’être à part, dès l’école. « Sa mise à l’écart n’est que la préfiguration d’une solitude naturelle qui ne cessera de s’approfondir avec le temps. Une solitude au service de son écriture ». N’écrit-il pas dans « Le Mausolée des amants« , son journal publié dix ans après sa mort, qu’il a presque toujours cru en son destin d’écrivain ? « Quand quelqu’un n’y croyait pas, je trouvais charmant ce manque de perspicacité. » C’est cette foi en son talent et la brièveté de sa vie qui, je crois, intéressent le plus Maxime Dalle, jeune directeur de la revue littéraire Raskar Kapac : cette vie que le talent embrase comme une allumette qui se consume trop rapidement mais, quand elle brille, la lumière paraît d’autant plus vive qu’elle est fugace. Quel éclat soudain !
La passion est communicative et cette série de courts chapitres thématiques, bien écrits, d’une sensibilité et d’un goût pour l’auteur non feint, permet d’approcher – un peu – l’ange diabolique qu’a pu être Hervé Guibert. Elle ne dispense pas de la lecture complète de ses œuvres, dont certaines bénéficient de nouvelles éditions enrichies de documents inédits (le si touchant roman-photo « Suzanne et Louise« , « L’Arbalète », Gallimard) ou de préfaces d’auteurs (« L’Incognito« , « L’Arbalète », Gallimard, avec les préfaces de Jean-Baptiste Del Amo et Oscar Coop-Phane). Découvrir les œuvres d’Hervé Guibert est une expérience esthétique dont je ne me suis pas remis et à la chaleur de laquelle « Dans les braises d’Hervé Guibert » me donne, une nouvelle fois envie de me brûler.
Marc DECOUDUN
articles@marenostrum.pm
Maxime Dalle est écrivain et directeur de la revue littéraire Raskar Kapac. Il a déjà publié un récit de ses voyages en Palestine, Irak et Irlande du Nord, sous le titre Itinéraire au crépuscule, ainsi que deux anthologies de Raskar Kapac.
Dalle, Maxime, « Dans les braises d’Hervé Guibert », Louison éditions, « Dissidents », 14/10/2021, 1 vol. (142 p.), 19€
Retrouvez cet ouvrage au sein de la librairie LES MOTS A LA BOUCHE
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