Danton et Robespierre ; rien qu’en prononçant ces deux noms, on pourrait croire qu’à eux seuls, ils symbolisent la Révolution française dans ce qu’elle a de plus pur mais aussi de plus terrible. D’ailleurs, lorsqu’on feuillette les livres d’histoire d’antan, on ne peut pas manquer les deux portraits. Leur personnalité, leur charisme, leur soif de liberté et leur désir sous-jacent de vengeance vont les mener au pinacle de cette période de lumière et de terreur. On en vient pourtant à oublier qui ils étaient.
Loris Chavanette, dans son dernier livre sur la Révolution, tente, en expert qu’il est, de lever le voile sur la nature unique des deux totems de cette période troublée. Au travers d’un récit détaillé, captivant et particulièrement documenté, il va mener le lecteur à travers les méandres de la vie de Georges et de Maximilien, de leur premier jour à leur dernier instant en compagnie du bourreau Samson. En effet, le chroniqueur n’aura pas l’angoisse de divulgâcher l’histoire au cours de son propos, car tout le monde sait comment leur légende se termine.
Si l’auteur a choisi le titre énoncé, il aurait pu l’intituler « le renard et le bouledogue » ou, comme il est de bon ton aujourd’hui : « Danton vs Robespierre », tant il est vrai que leur tempérament et leur caractère unique sont diamétralement opposés.
Tout commence à leur naissance et les psychanalystes auraient beau jeu de conclure que tout ceci est la faute de leurs mères respectives. En effet, l’un a perdu sa génitrice alors qu’il n’était qu’un très jeune enfant, l’autre a eu une maman aimante. Le premier s’est renfermé, le second s’est affirmé.
Certes, ils sont arrivés, au bout de leurs études, au même métier d’avocat mais tandis que Danton se pavanait avec son organe de stentor dans les prétoires, Robespierre, avec sa voix de fausset, déblatérait son réquisitoire d’une tirade monocorde. Les évènements les ont rapprochés pour le meilleur et pour le pire sans qu’ils soient cependant les créateurs de la Révolution car au contraire, c’est elle qui les a créés.
Revenons en arrière. Maximilien Robespierre vivote de ses gages après une brillante scolarité au lycée Louis le Grand. Taciturne, antipathique et imbu de sa personne, il ne côtoie guère que Camille Desmoulins, son seul vrai camarade de cœur. Georges Danton, dans le même temps, a suivi les cours sans trop se fatiguer et, grâce aux subsides de son beau-père, il mène un certain train à Paris. Le premier est célibataire et vit avec sa sœur dans une ambiance lugubre, le second est marié à une femme qu’il aime et reçoit amis et clients dans un bel appartement. S’il n’y avait pas eu la convocation des États Généraux, ces deux-là ne se seraient jamais rencontrés. Élus au tiers état de leur département, ils assistent en tant que simples spectateurs aux grands bouleversements de 1789.
Rapidement, ils saisissent l’un et l’autre l’importance de leur rôle à jouer dans le grand chambardement politique et social qui s’amorce. C’est la première place qu’ils veulent, tant pour eux-mêmes que pour le salut de l’ordre nouveau. Mais ils ne peuvent y arriver seuls et sentent qu’une alliance entre eux leur permettra de réaliser leur rêve et leur ambition. C’est donc le pragmatisme qui va les servir. Ils seront ensemble les artisans des aspirations de la Révolution vers la chute de la royauté et l’avènement de la République. Le prix ? On le connaît ! Dictature, génocide en Vendée, exécutions en masse des « ennemis », des « tièdes » et des milliers d’innocents.
Tandis que Robespierre durcit le ton et s’entoure des fidèles serviteurs de la Mort, Danton, pris de remords, réunit quant à lui ceux pour qui le sang a assez coulé. C’est avec eux qu’il revient à Paris, capitale de la Terreur aveugle où personne, fut-il vainqueur sur le champ de bataille ou chantre de la Convention, ne peut se prévaloir d’échapper au couperet.
Au cours d’un dernier dîner, Georges tente de faire fléchir Maximilien, allant jusqu’à s’humilier. Las ! « L’incorruptible » ne plie pas et a déjà décidé du sort de son interlocuteur et de ses affidés.
Au cours d’un dramatique conseil du Comité de salut public, Saint Just, avocat du Diable, convainc les participants de signer le décret d’arrestation, donc de mort assurée, de Danton et de ses amis. Se sachant perdus, aucun d’entre eux ne cherche à fuir, ce qui contribuera bientôt à leur légende. Avec Danton, ce sont des figures de la Révolution qui montent à l’échafaud : le général Westermann, l’innocent conventionnel Philippeaux, le génial poète Fabre d’Eglantine ainsi que Camille Desmoulins, très vite suivi de son épouse Lucile, ce couple magnifique dont le propre Robespierre était le témoin de mariage. Le forfait est dès lors gravé dans le marbre : par la mort acceptée, Robespierre devient le bourreau et Danton la victime expiatoire de la Révolution. On en oublie le sang que ce dernier a sur les mains. Qu’importe ! Il fallait un héros, le voici.
Robespierre, Saint Just et Couthon se croient désormais libres d’insuffler à la République la plus terrible des répressions. Ce que n’a pas calculé le Renard, c’est que par la mort de son rival, il vient de signer la sienne. Terrorisés par les exécutions à répétition, les conventionnels survivants de la grande aventure sentent le souffle de la lame sur leur cou. Le seul moyen d’éviter l’issue fatale est de se débarrasser au plus vite de l’Incorruptible et des siens. À la Convention où il s’est rendu quelques semaines plus tard, ce sont des regards haineux et des invectives brutales qui l’accueillent. Il tente de se défendre comme il sait le faire : en distillant la peur, mais son discours est interrompu par une quinte de toux. Le député Legendre lui jette alors : « C’est le sang de Danton qui t’étouffe ! » Par cette phrase, le fossé entre Danton et Robespierre se creuse à jamais. L’un est innocent, l’autre coupable. La postérité retiendra cette version.
Fin de l’histoire ? Que nenni ! Alors que l’on pensait cette affaire passée, les historiens, qu’ils soient amateurs ou érudits, s’affrontent encore sur la personnalité des deux révolutionnaires. Si Georges Danton reçoit le pardon de ses péchés par sa rédemption et son sacrifice, Maximilien Robespierre trouve depuis plus de deux cents ans ses supporters qui, faisant fi du prix qu’ont dû payer les Français durant la Terreur, placent l’Incorruptible au pinacle des héros de la Révolution française.
La période révolutionnaire a fait naître une nouvelle ère, tant dans notre pays que dans le monde entier. En lisant l’excellent ouvrage de Loris Chavanette, le lecteur n’aura plus d’excuses pour se faire sa propre opinion sur la phase majeure de notre histoire contemporaine.
Renaud MARTINEZ
articles@marenostrum.pm
Chavanette, Loris, « Danton et Robespierre : le choc de la Révolution », Passés composés, 08/09/2021, vol. (478 p.), 25€
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