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David Foenkinos, La vie heureuse, Gallimard, 04/01/2024, 1 vol. (204 p.), 19€.

De nombreux écrivains se sont penchés sur les poncifs qui émaillent le langage ordinaire et structurent l’imaginaire. On pense bien sûr à Flaubert avec son ambitieux quoique inachevé Dictionnaire des idées reçues. À la fin du XIXe siècle, c’est le polémiste Léon Bloy qui publie une très caustique Exégèse des lieux communs. Plus près de nous, au XXe siècle, Nathalie Sarraute a construit son œuvre romanesque et théâtrale autour d’un questionnement sur les automatismes de la parole, par la mise en évidence des « tropismes » cachés sous la surface des choses. David Foenkinos manifeste à sa manière un attrait similaire pour les lieux communs, en se débarrassant toutefois de la prise de distance critique qui caractérisait ses prédécesseurs. Chez lui, tout reste au premier degré : l’auteur assume les clichés, les bons sentiments. En ces temps moroses, il n’a pas honte d’offrir à ses lecteurs un livre qui fait du bien. Le titre La vie heureuse est programmatique. La citation choisie sur la quatrième de couverture va dans le même sens : « Jamais aucune époque n’a autant été marquée par le désir de changer de vie. Nous voulons tous, à un moment de notre existence, être un autre ». Le roman est une démonstration de cette métamorphose, où comment transcender un quotidien en perte de sens pour atteindre le bonheur véritable et se retrouver en phase avec soi-même.

Des personnalités fortes et talentueuses

Si l’on est allergique aux ouvrages de développement personnel, aux romances feel good, aux personnages stéréotypés, il vaut mieux passer son chemin. Mais pour tous ceux qui apprécient les livres qui reposent sur l’analyse minutieuse des sentiments davantage que sur les rebondissements romanesques, La vie heureuse est à n’en pas douter un excellent cru. Puisque c’est une romance il y a un homme et une femme. Quadragénaires, comme souvent chez Foenkinos. Lui, c’est Éric Kherson, qui a « gravi tous les échelons » au sein de l’enseigne Décathlon « de simple vendeur à directeur commercial du groupe ». Elle, c’est la belle et talentueuse Amélie Mortiers « directrice de cabinet du secrétaire d’État au Commerce extérieur » lors du premier mandat d’Emmanuel Macron : « On sentait qu’elle abordait la quarantaine tel un rendez-vous avec l’apogée de sa sensualité. Elle dégageait, semblait-il, une sorte de puissance solaire ». Éric et Amélie étaient dans la même classe au lycée puis ils se sont perdus de vue. Grâce à un groupe Facebook d’anciens élèves, Amélie retrouve la trace de son camarade et lui propose de l’accompagner pour une mission en Corée, où il s’agit de convaincre le PDG de Samsung d’installer une usine à Mulhouse. Éric décide de plaquer son emploi chez Décathlon pour se laisser embarquer dans cette nouvelle aventure.

Mais qui cachent des fêlures secrètes

 « Les mots d’Amélie comblaient quelque peu les béances d’un ego abîmé ». Éric, derrière sa réussite professionnelle est un être cabossé par la vie, qui cache des « fissures » secrètes. Son père est mort dans un tragique accident de la route, et il éprouve depuis ce jour une forme de culpabilité. Les relations avec sa mère ne sont pas au beau fixe, sa femme l’a quitté et il ne voit pas son fils autant qu’il le voudrait. Grâce à la proposition d’Amélie « il voyait la possibilité de bifurquer enfin, de repousser cet état dépressif qui le guettait ». Comme on le découvrira au fil des chapitres, Amélie également, sous ses dehors de femme forte à qui tout sourit, n’est pas pleinement heureuse dans son existence. Mais elle ne laisse pas son moi profond s’exprimer : « elle était dotée d’une capacité rare : celle de scinder en deux son esprit ». Une note de bas de page – marque de fabrique de l’auteur qui en ponctue tous ses romans – précise « son côté Gémeaux peut-être ». Lors du séjour à Séoul, Éric va vivre une expérience hors du commun. Dans une mystérieuse boutique appelée « Happy live », guidé par un « homme sans âge » répondant au nom de Yoon, il va être confronté à sa propre mort et en ressortira profondément changé…

La vie heureuse est un livre plein d’optimisme qui apprend à surmonter « le désordre émotionnel » dans lequel l’homme moderne erre souvent, mal-être accentué par la pandémie de Covid. Eric va ainsi apprendre à se « reconnecter à son désir » tandis que sa mère dévastée par la perte de son mari finira elle aussi par trouver « le chemin de sa consolation ». Au-delà des principaux protagonistes, il y a aussi dans le roman, de nombreux personnages secondaires qui entraînent immédiatement la sympathie car on a l’impression de les connaître depuis toujours, à l’instar de Justine, la jeune voisine, étudiante à la fac de lettres et qui se propose de faire du baby-sitting pour les filles d’Amélie : « Tous chantaient les louanges de cette envoyée miraculeuse ». Mais Justine, a-t-elle aussi ses failles secrètes : « On sentait qu’elle avait dû vivre quelque expérience douloureuse qui lui avait donné accès à une compréhension accrue du monde ». Les auteurs préférés de Justine sont Kundera, Kafka et Dostoïevski : « Je n’aime que des écrivains qui ont un K dans leur nom » affirme-t-elle. Nul doute qu’elle adorerait aussi Foenkinos. Un romancier qui vous veut du bien.

Image de Chroniqueur : Jean-Philippe Guirado

Chroniqueur : Jean-Philippe Guirado

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