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Dominique Barthélemy, Miracles de l’an mil, Armand Colin, 23/08/2023, 1 vol. (312 p.), 25,90€.

La société de l’an mil est dirigée par les chevaliers, qui guerroient, et les clercs, qui prient. Ce monde dual est celui de la violence et de la mort avec les guerres féodales, les épidémies, les inondations, les sécheresses, les famines. Dans cette atmosphère létale et anxiogène, le miracle est un espoir, un apaisement pour tous et une bouffée d’air pur salutaire, il renforce l’autorité de l’Église sur les nobles, les paysans et les bourgeois. La liste finale des miracles de reliques de saints surprend par son nombre : Adalard, Aignan, Aman, Aphrodise, Arnoul, Bavon, Benoît, Bercher, Catherine, Donatien, Énimie, Faron, Foy, Géraud, Gibrien, Guilhem, Hedrade, Honorine, Hugues, Léonard, Liesne, Macaire, Maiëul, Marcoul, Marie de Laon, Marie de Rocamadour, Mesmin, Ouen, Privat, Prudent, Rictrude, Thomas de Canterbury, Ursmer, Vivien, Vorles, Willibrord. Ces miracles qui guérissent les sourds-muets, les aveugles, les paralytiques, les possédés, les malades – et qui résolvent des procès et héritages – permettent de douter de la véracité de bon nombre d’entre eux (pour ne pas dire de la totalité), mais attestent du dynamisme des moines qui valorisent leurs monastères concurrents et qui suspectent ceux des autres frères. Et malheur à ceux qui n’y croient pas, des malédictions les frappent. Si de nombreux saints sont aujourd’hui méconnus (ce qui faisait leur force était leur ancrage local), saint Benoît et sainte Foy reçoivent le plus de vénérations.

Saint Benoît. Les reliques, miracles, duels et ordalies

Saint Benoît est le saint des moines dont la sainteté tient à sa règle prônant obéissance, chasteté, travail, prière et pénitence. Vieillard vénérable aux cheveux blancs, nimbé dans une lumière magnifique, il est parfois accompagné du jeune Saint Placide. Les moines de Fleury achètent ses reliques en 672 pour le rayonnement de leur abbaye, mais Benoît n’étant ni martyr ni autochtone, ils achètent aussi celles de saint Sebastian et de saint Maur en 818 et 962. Les seigneurs terrorisant les paysans et les serfs, les prêtres veulent inspirer la même terreur aux nobles. Les miracles de vengeances punissent un blasphème, un serment, l’Église attaquée. Saint Benoît frappe de sa crosse le seigneur Herbert de Sully-sur-Loire qui pillait les moines. Il dit à ses compagnons que le saint l’a frappé et périt. Le châtiment est souvent fatal : le chevalier est désarçonné, la monture frappée, les os brisés. Un noble est étouffé par la poire volée. Le chevalier Gimon d’Autun, pillant l’Église et se riant des saints, est possédé par un démon. Les miracles de négociations permettent aux seigneurs de céder devant Dieu sans perdre la face. Des chevaliers volant les terres des moines, que l’un d’eux meure ou que ses enfants et sa femme meurent et tout rentre dans l’ordre. Le saint intervient dans les duels et ordalies (jugement du fer rouge, de l’eau froide, de la chaudière) en interférant au Jugement de Dieu. Le vicomte Geoffroi de Bourges, excédé par un litige sans fin pour un bois avec un moine de Fleury, demande un duel. Mal lui en prend, il perd aussitôt la vue qu’il ne retrouve qu’en renonçant. Le saint, exorciste, éloigne aussi les démons. Un homme possédé est laissé deux jours dans le tombeau de saint Benoît, le corps solidement attaché. Tel un chien, il gronde, menace ceux qui viennent et prononce des sons affreux et des paroles néfastes. Le second jour, le saint apparait et frappe sa tête de sa crosse. Le démon expulsé, l’homme retrouve la raison.

Sainte Foy, une sainte adulée

Sainte Foy, jeune martyre émouvante et resplendissante, mobilise plus les fidèles que saint Benoît, père fouettard, et attire les foules au monastère de Conques où repose son corps. Elle guérit les blessures graves, restitue les yeux arrachés, ressuscite les chevaux et les enfants, retrouve une bague perdue, met fin à une calvitie et à une verrue disgracieuse. Contrairement à saint Benoît, elle a une statue reliquaire qui favorise la majesté de la statue avec trône, couronne, ors et pierres précieuses, renfermant selon la coutume une partie du corps saint (ce qui pourrait être de l’idolâtrie). Sainte Foy est avide d’or : la comtesse Guillaume de Toulouse voit apparaître la sainte qui lui demande d’apporter à Conques ses deux brassards d’or ; la comtesse, avisée, demande en contrepartie que Dieu lui accorde un enfant. Ce type de demande est fréquent au Moyen Âge. La sainte est aussi connue pour ses jeux ou ²miracles pour peu de chose², propres à son esprit ludique. Géraud de Villiers, de pèlerinage à Rome avec un mulet prêté et mourant, malgré la promesse d’un cierge de la taille du mulet faite à sainte Foy, perd son mulet. Il vend le cadavre à un aubergiste. Furieux du vil prix, il éventre la bête, taille la peau dans tous les sens pour qu’elle soit invendable, lui crève un œil, en regrettant que la sainte ait refusé un cierge, qu’il doive rembourser son frère et rentrer à pied. À peine a-t-il fini de geindre que le mulet revient à la vie sans la moindre blessure. Sainte Foy délivre surtout les prisonniers qui ont recours à son aide, sans distinguer l’innocent et le coupable : les chaînes les plus rivées se cassent, les portes de fer s’ouvrent spontanément. Certaines évasions miraculeuses cachent des complicités : des pèlerins, allant vers Sainte Foy et passant près du château de Turenne, tombent sur le chevalier, gardien des lieux, qui est leur ennemi. Sous le premier prétexte, il les fait tous captifs. Le seigneur du château étant absent, son épouse fait dire au chevalier qu’elle sera bienveillante envers lui s’il délivre ses prisonniers. Il n’en garde qu’un, celui qui l’a le plus offensé, mais en voulant lui mettre les fers, le marteau vole en éclats, les cordes l’enserrant se défont, les douze gardiens, chargés de le transpercer de leurs lances s’il s’échappe, sont pétrifiés et incapables de bouger. L’homme s’évade et se réfugie à Conques. La sainte aide aussi les chevaliers en difficulté : manipulé par le démon, un noble prend la femme d’un chevalier et, à la tête de sept cents cavaliers, pille ses terres. Le chevalier demande l’aide de Dieu tout-puissant qui lui inspire de se tourner vers sainte Foy. Il regroupe cent cinquante cavaliers qui, arborant la bannière de la sainte et criant « Sainte Foy, aide-nous ! », écrasent l’ost bien plus nombreux. Son ennemi est abattu d’un coup d’épée, comme un arbre.

Dominique Barthélemy est membre de l’Institut (Académie des Inscriptions et Belles-lettres), agrégé d’histoire, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études, professeur d’histoire du Moyen Âge à Sorbonne Université… Miracles de l’an Mil est un livre dense et érudit, fouillé et documenté, riche en narrations savoureuses et en récits surprenants et piquants d’autres saints, notamment Vivien, Ursmer, Arnoul. Il éclaire avec nuance la piété et la superstition qui gravitaient autour des abbayes (faisant leur force), donne vie à des temps hostiles et violents, relate les difficultés des chevaliers, les situations embarrassantes des moines, les injustices des serfs, les mésaventures des petites gens des villes et des campagnes, les drames des malades, le surnaturel des possessions démoniaques. Les miracles des saints et des saintes sont une potion religieuse et populaire des moines aux misères sociétales de l’an mil.

Image de Chroniqueur : Albert Montagne

Chroniqueur : Albert Montagne

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