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Douze entretiens pour mieux comprendre le génie d’Orson Welles

Jean-Pierre Berthomé et François Thomas, Leur Orson Welles. Grands entretiens, Les impressions nouvelles, 02/09/2025, 256 pages, 20 euros.

Jean-Pierre Berthomé et François Thomas, historiens du cinéma et spécialistes de Welles, ont co-signé ensemble deux livres sur Welles : Citizen Kane (Flammarion, 1992) et Orson Welles au travail (Cahiers du cinéma, 2006). Leur Orson Welles rassemble douze Grands entretiens (dont trois inédits et huit publiés dans Les Cahiers du cinéma) enregistrés en Angleterre, Allemagne, France et aux E.U., racontant plus de quarante ans de collaboration dans le théâtre, la radio et le cinéma.

Richard Wilson, producteur, collabora avec Welles de 1937 à 1949. Au théâtre, Welles n’était pas pour le respect du texte mais pour un style dynamique, jouant avec la lumière, les décors et le son, dans des spectacles d’une heure et demie, sans entracte. Il le rejoignit à la radio en 1938. Welles engageait des acteurs, adaptait grands classiques et textes contemporains, se démarquant par la narration à la première personne du singulier. La guerre des Mondes, diffusée le 30 octobre 1938, la veille d’Halloween, fut si réaliste que les auditeurs crurent à une invasion de Martiens en direct. Les dirigeants de CBS eurent peur d’un procès. La RKO accueillit Welles à bras ouverts pour Citizen Kane mais il attirait les polémiques. Accusé de dépenser l’argent et de s’attaquer à William Randolph Hearst, il devint vite persona non grata.

Paul Stewart, comédien, joua dans Citizen Kane. Welles, étant peu organisé, le nomma producteur radiophonique en 1936 pour organiser les programmes. Les scénarios n’étaient pas un problème mais l’interprétation capitale. Pour La guerre des mondes, les syndicats empêchaient un acteur d’avoir plus de deux rôles et Orson manquait d’argent et d’acteurs, obligeant Stewart à sortir de sa cabine technique pour lire des bulletins météorologiques. Welles dirigeait tout, personne ne pouvait le diriger. Tous étaient jeunes, passionnés, pionniers, mal payés, ignorant combien ils étaient bons.

Jeanette Nolan, comédienne, a donné à la radio un de ses sommets avec Blanche-Neige et les sept nains où la méchante reine devenait sorcière, phrase après phrase. Elle était la seule femme des 12 permanents radiophoniques de Welles. Les gens voyaient en Citizen Kane une réussite et non comme un chef d’oeuvre car ils trouvaient Welles trop intelligent et imaginatif à la radio, au théâtre et au cinéma. Dans Macbeth certains n’appréciaient pas qu’il coupât Shakespeare, modifiât des personnages, combinât plusieurs rôles, donnât les répliques à un autre. Il aimait Shakespeare, se moquait des critiques et les acteurs étaient heureux de jouer avec lui. Le théâtre était plongé dans le noir, ce qui était illégal, plongeant ainsi les spectateurs dans l’effroi.

Alexandre Trauner, décorateur, eut trois projets non aboutis avec Welles : Cyrano de Bergerac, L’Odyssée et Les Mille et une nuits. Il réalisa Othello (1951) au Maroc et bénéficia des décors de Mogador qu’il transforma en studio, les poteaux et les lignes électriques étant remplacés par des câbles souterrains. Les costumes furent fabriqués sur place. Trauner multiplia les astuces : de l’encens en guise de vapeur, une poissonnerie pour simuler un bain turc. Welles travaillait vite, poussait acteurs et décorateur à aller vite, les stimulant, mais calculait tout, chaque appareil et décor étant à son exacte place.

Edmond Richard, technicien pour la couleur, n’avait jamais dirigé la photographie. Il avait admiré à une conférence à Zagreb le parler français de Welles. Alors que celui-ci cherchait des décors pour son film Le Procès, il lui proposa les pavillons suédois et américains de la foire-exposition de Zagreb, avec quelques bouteilles de Slivovitz pour convaincre le gardien. Welles, visitant les lieux avec Richard, fut satisfait et l’engagea comme chef-opérateur. Il sut s’entourer de bons opérateurs et sa carrière fut lancée.

 Marie-Sophie Dubus, monteuse confirmée, rencontra Welles en 1972. Il ne s’entendait pas avec sa monteuse pour Vérités et mensonges et cherchait un monteur. Le producteur François Reichenbach lui proposa Dubus. Welles visionna avec elle une heure de rushes, passant la bobine huit fois la vitesse normale, lui disant, sans notes et sans repère visuel : « In, out, in, out ». Il partit, lui laissant le travail à faire. Quand il vit le résultat, il l’engagea. En salle de montage, ils étaient seuls, voyant les rectifications, coupes, modifications à faire. Ils commençaient à 9 heures précises, finissaient le soir à 11 heures ou minuit (même les dimanches et jours fériés). Il invitait Dubus et son assistante au restaurant et payait toujours pour elles.

Oja Kodar, artiste croate née en 1941, rencontra Orson Welles à Zagreb en 1961 pendant le tournage du film Le procès et devint sa muse et collaboratrice, actrice, scénariste, de 1962 à 1985. Sculptrice de formation et réalisatrice, légataire de ses œuvres, elle se consacre à valoriser ses inédits. Ce qui frappe est que Welles, qui fut Citizen Kane, le millionnaire le plus emblématique du cinéma, était en manque constant d’argent, d’où ses nombreux films jamais tournés ou inachevés. Les gens qui avaient de l’argent l’invitaient juste pour dire qu’ils avaient dîné avec lui. Steven Spielberg avait dépensé 70.000 dollars en 1982 pour acheter Rosebud, la luge de Citizen Kane, et aurait pu lui donner cet argent pour un scénario original (pied du nez de l’Histoire, un autre exemplaire appartenant à Joe Dante, qui l’avait simplement récupéré dans les entrepôts de la RKO, sera vendu 14,5 millions de dollars en 2025). Jack Lang (alors ministre de la Culture) avait invité en France en 1983 Welles, en attente d’une aide financière. Welles avait une telle habitude des déceptions injustes qu’il s’était forgé une philosophie qui l’aidait à supporter la vie : la justice n’existait pas, elle était une invention des gens qui font les lois.

Les autres témoins : Dominique Antoine (productrice), Keith Baxter (comédien), Yves Deschamps (monteur), Willy Kurant et Serge Halsdorf (opérateurs), confirment l’enthousiasme que soulevait Welles auprès de ses collaborateurs. Tous étaient conscients de côtoyer un monstre du cinéma, impressionnant avec sa stature, sa cape, son chapeau et sa canne. Le livre de Jean-Pierre Berthomé (qui nous a quittés en septembre 2025) et de François Thomas s’avère passionnant, à l’image de Welles qu’il forge lentement.

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