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Szac, Murielle, Eleftheria, Éditions Emmanuelle Collas, 26/08/2022, 1 vol. (368 p.), 19€.

Le 9 juin 1944, un sous-marin de la Royal Navy tire une rafale de quatre torpilles sur le cargo le Tanaïs, escorté par des navires de guerre arborant le pavillon nazi, et voguant depuis Héraklion vers le port du Pirée. Deux torpilles atteignent leur but. 265 Juifs en cours de déportation, environ 400 résistants crétois, non-juifs, entre 100 et 300 prisonniers de guerre italiens sont enfermés dans les cales. Les sources ne s’accordent pas sur le nombre exact des victimes crétoises et italiennes.
Nul n’entendit les hurlements de détresse qui s’élevèrent des flancs du cargo. Il sombra en 12 secondes.
Sur ce terrible épisode de la Shoah des Juifs de Grèce, l’écrivaine Murielle Szac, a construit un très beau roman pour redonner un visage et une histoire à quelques-uns de ces disparus.

Eleftheria, son titre, signifie en grec : Liberté. Le récit, scandé par une chronologie précise, démarre le soir du 3 octobre 1940 par la célébration de Tashlikh, cérémonie qui ouvre les festivités de Roch Hashana, nouvel an civil selon le calendrier hébraïque. Parmi les membres de sa communauté, la jeune Rébecca Centuri envoie symboliquement ses pêchés au loin, petite bougie sur un frêle radeau de paille. Sur la grève, le rabbin psalmodie l’imploration d’Abraham à son Dieu…

On sait qu’en Europe, la guerre gronde, mais que pourraient redouter les Juifs crétois sur leur île ? Ils sont quelques centaines dont Mussolini ne se soucie pas. Les coreligionnaires de Rébecca sont plus préoccupés à critiquer la gracieuse Stella Sarfati qui va épouser un chrétien qu’à commenter des évènements lointains. Car si les communautés cohabitent en bonne entente et savent s’entraider, les mariages mixtes sont inconcevables.

Mais Stella s’obstine, elle épouse Yorgos, chrétien orthodoxe, communiste et bientôt maquisard. Il sera un des partisans prêts à opposer dès le mois de mai 1941, une farouche résistance à l’occupant nazi. Soumis aux lois antisémites, contraints au recensement, réduits à la misère par la privation de leurs biens, les Juifs de Chania n’osent toujours pas croire au pire. D’ailleurs pour fuir, il faut en avoir la possibilité matérielle. C’est le privilège de commerçants aisés comme les Lévi.

Liberté, pourtant, même dans l’adversité, semble le mot – guide pour chaque protagoniste. Liberté pour Ariadni, la jeune Grecque, de se mettre au service des Lévi, de les suivre en exil et de rester auprès d’eux par attachement pour le petit Isaac qu’ils lui ont confié. Liberté pour Rachel de renier les siens et d’opter pour une conversion et un mariage rapides. Liberté de Luigi, le soldat italien qui prend tous les risques en conduisant Stella et son fils jusqu’au monastère de Faneromeni pour les mettre en sécurité.

Celle de Petros, photographe de profession, polonais et apolitique. Il parcourt la Crète depuis des années pour saisir dans l’objectif de son Rolleiflex les beaux visages et les coutumes des insulaires. Devant les brutalités et les exactions des occupants, il va choisir son camp. Liberté de Rébecca, enfin qui refuse l’aide de son amant pour fuir la Stoa Makasi, bastion de la forteresse vénitienne d’Héraklion.

Ils sont tous là, et bien d'autres encore. Les yeux de tous les Juifs de Chania, entassés dans la salle voûtée à quelques mètres d'eux, immenses, la fixent dans le noir. Non, Kostas. Non, je ne peux les abandonner.

Les pas des prisonniers avaient foulé les venelles du vieux quartier d’Evraïki, ou le sol rude des villages perchés sur les pentes des Montagnes blanches, qui sentent si bon sous le soleil, la garrigue, l’origan, la sauge et la sarriette. Les pères juifs mariaient les filles en criant Mazel Tov ! Et leurs femmes se plongeaient une fois par mois dans l’eau froide du Mikveh. Ils étaient tous minces et souvent maigres car ce qui façonne les corps sur cette terre, c’est la misère et la faim. Ils avaient leurs faiblesses et leur grandeur, leurs jalousies et leur générosité, des rituels différents mais pour la plupart une même espérance en un Dieu de miséricorde.
Les Juifs de Chania qui avaient échappé aux massacres perpétrés dans les villages environnants, furent raflés le 20 mai 1944…

La grâce de l’écriture de Murielle Szac nous les restitue sur leur terre de contrastes que subliment la mer et les reliefs. Ils sont libres et vivants, persécutés et dignes. Nous ne pourrons plus les ignorer.

Image de Chroniqueuse : Christiane Sistac

Chroniqueuse : Christiane Sistac

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