Faut-il réhabiliter l’histoire antique ? L’époque est à la prétendue culture de l’éveil ou de l’annulation, selon le camp révisionniste ou conservateur dans lequel chacun est enjoint de se situer. Poser la question, comme le fait François Lefèvre, avec ce très intéressant « Histoire antique, histoire ancienne » ? C’est évidemment induire une réponse que nous préférons entre toutes. En dépit des différences fondamentales et de la distance dans le temps qui la séparent de notre époque, l’Antiquité a encore quelque chose à nous dire. Elle serait même curieusement en avance, à moins que ce soit la nôtre qui n’ait finalement pas autant évolué que nous le croyons. Mais de quelle Antiquité parlons-nous ? Par le nombre de sources, de textes transmis, les trouvailles épigraphiques et archéologiques et son influence sur notre culture, les mondes grec et romain nous parlent tout particulièrement. Giusto Traina, récemment, dans son « Histoire incorrecte de Rome » (Les Belles Lettres), s’attachait à montrer en quoi l’empire gréco-romain résonnait toujours avec notre monde. François Lefèvre se concentre essentiellement sur la Grèce, de l’Âge du Bronze jusqu’à l’époque impériale.
Les vingt et un chapitres nous conduisent à reconsidérer notre proximité avec le monde grec. Les théories du complot, la société du spectacle, les fake news… existaient déjà ! Tout comme les organisations internationales, l’État-providence ou les débats sur l’identité. Comme ses étudiants, le lecteur est frappé, « immanquablement », par ce « télescopage spectaculaire entre l’actualité la plus brûlante et ces très vieilles choses », écrit l’auteur dans son « Avant-propos ». On lit ainsi que la condition des « profs » a toujours fait débat, entre politique éducative, revalorisation salariale ou enseignement contesté. Les étudiants ne sont pas en reste : au chapitre 13 « De la condition étudiante », l’auteur revient sur l’arrêté du gouvernement qui proposait d’augmenter les frais d’inscription universitaire pour les étudiants étrangers non européens. Cette question se posait déjà il y a plus de 2000 ans, et nous savons que les cités se faisaient concurrence pour attirer les meilleurs enseignants et les meilleurs étudiants. Ainsi, à Lampsaque, vers 300 av. J.-C., une stèle conservée nous indique qu’étudiants et enseignants étrangers étaient exemptés de taxes ! À l’inverse, la république de Rome a, un temps, chassé les philosophes grecs dont on craignait que l’enseignement ne détournât la jeunesse de l’austère vertu des ancêtres.
Dans une version abrégée, ce chapitre avait déjà fait l’objet d’une tribune dans le quotidien « Le Monde » (17 mai 2019), et il est vrai que chaque chapitre de ce livre constituerait une admirable chronique dans la presse. Cela aurait pour avantage non négligeable, non seulement de maintenir la connaissance de l’Antiquité dans le champ de la culture générale, mais encore de faire dialoguer avec intelligence les époques entre elles. Voyons ce qu’elles ont à nous apprendre. Comment peuvent-elles nous faire mieux comprendre les questions actuelles qui traversent la société ? Il y a là de nombreux enjeux. Laisser la parole et une place aux agrégés, aux universitaires, permettrait peut-être de réconcilier la population avec les intellectuels. Gageons que cela ralentirait l’importation de débats américains dans notre société.
Ancien étudiant de François Lefèvre, Raphaël Doan a contribué à la rédaction des chapitres 2 (« De Rome à Marseille : logements insalubres, risques urbains et théories du complot « ) et 13 (déjà mentionné). Récemment auteur du brillant essai « Le rêve de l’assimilation » (Passés Composés, 2021), il a rédigé dans « Le Figaro » du 11 mars 2021, une inquiétante tribune sur « Ces historiens de l’Antiquité qui haïssent l’Antiquité« . Il s’oppose à cette idée que « la civilisation gréco-romaine ne serait qu’une époque historique parmi d’autres, ni plus ni moins significative pour nous que le Japon féodal ou l’Empire inca ». Ce serait oublier que « nous devons tant » à ces « deux civilisations sœurs », répond François Lefèvre. Ces courts chapitres, « pris sur le vif », réussissent à nous mettre en appétit. La deuxième partie de l’ouvrage est justement consacrée à un abrégé de l’histoire gréco-romaine, et nous donne ainsi un arrière-plan qu’il est toujours intéressant de rappeler.
Giusto Traina défendait l’enseignement du latin, concluons avec François Lefèvre, au chapitre 21 : « Faisons du grec ! »
Marc DECOUDUN
contact@marenostrum.pm
Lefèvre, François, « Histoire antique, histoire ancienne ? », Passés composés, 10/03/2021, 1 vol. (270 p.), 19,00€
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