Indentité croisée

Vingt % ! C’est le pourcentage d’origine maghrébine retrouvé dans l’analyse ADN que Sébastien Petit reçoit par courrier. Il faut dire que Sébastien, Français moyen, blanc, bien de chez nous, est plutôt à classer parmi les identitaires pour qui la France est nécessairement catholique et blanche. C’est un quadragénaire un peu perdu qui a une sainte trouille du « grand remplacement ». Vingt % d’origine maghrébine et plus précisément en provenance d’Algérie le perturbe terriblement, et le plonge dans un grand désarroi.

Le voilà donc qui part à la recherche de cette « impureté ».

C’est ainsi que débute le roman de Aziz Keftouna paru aux Éditions de L’Harmattan en juin dernier. Entrepreneur, voyageur, éducateur sportif, touche à tout autodidacte et maintenant écrivain. Son premier roman « Enfin libre » également paru aux Éditions de L’Harmattan en 2021 avait déjà fait l’objet d’une chronique sur notre site.

Identité croisée est une fiction avec un solide fond historique. Nous suivons l’évolution de Sébastien au fur et à mesure de ses découvertes concernant ses origines, tout en brossant un tableau remontant à la conquête de l’Algérie qui a fait suite – comme chacun sait – au soufflet (coup d’éventail ou de chasse-mouches) donné au consul de France Pierre Deval (1758-1829) par le Dey d’Alger Hussein Ibn Hussein ou Hussein Pacha (1734-1838). En effet, le 30 avril 1827 Pierre Deval refuse de s’engager avec insolence sur le remboursement d’un prêt obtenu par le Directoire (en 1798 !) pour l’achat de blé dont Bonaparte avait besoin pour son expédition en Égypte ! Il faut savoir qu’à cette époque l’Algérie était le grenier à blé de la France. Trois ans plus tard, ces 3 coups de chasse-mouches ont été le prétexte à la conquête que l’on sait.

Ce petit roman de 116 pages est très ingénieux, bien écrit, et plein d’humour. On se régale à lire la description des deux collègues de travail de Sébastien : Jean-Guy Fiotti et José Martinez deux « Français de souche » islamophobes militants chevronnés. Les dix-huit chapitres sont intitulés comme des acronymes ou des rébus amusants dont on trouve la solution au cours de la lecture. Mais qui peuvent bien être Éric Zeitoun (facile), Jean Prophétia (moins facile) ? L’analyse historique de la conquête de l’Algérie et la recherche de cet ancêtre maghrébin servent de trame romanesque et c’est particulièrement réussi. Un épisode peu connu de l’Histoire de France est raconté, c’est la détention très dure entre 1848 et 1852 de l’émir Abdelkader et d’une partie de sa smala au château d’Amboise. Abdelkader a incarné la résistance à l’Armée d’Afrique (1830-1862) créée pour la circonstance, et il est l’un des pères du nationalisme algérien. Il a tenu pendant longtemps l’armée de Bugeaud en échec. Libéré en 1852 de sa prison d’Amboise par le prince Louis Napoléon, il a l’occasion en 1860 à Damas, de prendre courageusement sous sa protection des milliers de chrétiens en conflit avec des musulmans. Le retentissement de cette action fut tel que l’Empereur Napoléon III lui décerna le grand cordon de la Légion d’honneur. On comprend que Sébastien soit tourneboulé par ces découvertes qui remettent en question tous ses « fondamentaux » lui, « l’infobèse » façonné par l’écoute en continu des chaînes d’information.

Ce roman bien imaginé et bien mené, agréable à lire, témoigne d’un bel humanisme. Aziz Keftouna indique dans une interview, qu’avec l’écriture, il avait trouvé son  « Hikigai » (raison de vivre en japonais). Nous le croyons sans peine et attendons le troisième roman de cet auteur vraiment talentueux avec impatience.