Sarah Doraghi, Iran in-out, Plon, 30/11/2023, 1 vol. Édition bilingue français et anglais. Illustrations en couleur, 176 p. 39€.
La brise de l’aube a des secrets à vous raconter. Ne retournez pas dormir. » Cette citation inspirante du grand poète mystique persan Rûmî ouvre en exergue Iran In/Out, l’ouvrage ouvrage coup de poing de Sarah Doraghi. D’emblée, le ton est donné : les pages qui suivent nous entraînent bien loin des sentiers balisés, nous plongeant au cœur de la réalité quotidienne du peuple iranien, dans toute sa complexité et ses aspérités.
Car ce livre nous transporte dans l’Iran contemporain, celui de l’après Révolution islamique de 1979, qui a vu le régime fondamentaliste des mollahs confisquer le pouvoir et imposer au pays entier sa vision rigoriste de l’islam. Plus de quarante ans après, la théocratie instaurée continue de régenter la vie publique comme la vie privée des citoyens dans ses moindres détails, étouffant dans l’œuf toute velléité de liberté.
C’est cette implacable dictature que Sarah Doraghi, journaliste et comédienne franco-iranienne exilée en France depuis son enfance, a choisi de mettre en lumière à travers ce récit intimiste nourri de ses racines, de ses observations, de ses conversations avec des proches restés au pays. Ni essai, ni documentaire, Iran In/Out est avant tout un témoignage sur ce que signifie « vivre » sous la férule de la République islamique d’Iran en 2023.
Bouleversant de vérité, porté par une sincérité qui transcende les pages, et des photographies prises à l’aide d’un smartphone, c’est aussi un livre-appel afin que le monde ouvre enfin les yeux sur les souffrances endurées par le peuple iranien. Un appel vibrant à la solidarité et à l’espoir, qui résonne avec acuité en ces temps de lutte acharnée contre l’obscurantisme islamiste.
La mort de Mahsa Amini, déclencheur d'une prise de conscience internationale
Ce témoignage saisissant prend racine dans un drame récent aux échos internationaux : la mort tragique de Mahsa Amini, jeune iranienne de 22 ans, décédée en septembre 2022 après son arrestation par la police des mœurs. Un événement traumatisant qui a déclenché une véritable révolution populaire contre le régime islamiste iranien, implacable dans sa répression sanglante. La répression se durcit. En six semaines, des centaines de personnes sont arrêtées, condamnées, exécutées, à l’issue de procès expéditifs. Tout comme Sophie Scholl, figure emblématique de la résistance étudiante au sein de la jeunesse hitlérienne, dont le courage et la mort tragique sont devenus le symbole de l’opposition au nazisme, Mahsa Amini s’inscrit désormais dans l’Histoire comme l’icône de la lutte contre la dictature islamiste iranienne. Son destin tragique a provoqué un électrochoc et rallié à sa cause le peuple iranien, et au-delà la communauté internationale. La jeune Mahsa est ainsi sortie de l’anonymat pour endosser malgré elle, face à la barbarie, le manteau du courage et de la résistance qu’ont revêtu avant elle tous les martyrs de la liberté à travers le monde.
C’est donc à partir de ce point de non-retour dans la lutte du peuple iranien pour ses droits et sa liberté que Sarah Doraghi brandit sa plume. Au-delà de l’émotion suscitée par le récent mouvement de contestation, son propos dans une édition bilingue, vise surtout à ouvrir les yeux de l’opinion internationale sur la réalité effroyable de la dictature des mollahs, que la diaspora iranienne ne cesse de dénoncer dans l’indifférence quasi générale.
Le quotidien étouffant des Iraniens sous le joug de la dictature islamique
Car le livre de Sarah Doraghi nous plonge dans l’enfer du quotidien en Iran, où la population se voit privée des libertés les plus élémentaires par un régime liberticide obsédé par le contrôle de la vie privée comme de la vie publique. L’auteure nous en donne un aperçu glaçant dès l’introduction :
À cause des tabous culturels, sociaux et politiques, de nombreux aspects de la vie sont interdits en Iran : s’embrasser, danser, rire, se montrer, penser ou s’exprimer librement… Autant d’actes ordinaires devenus gestes de résistance pour une population réduite au silence.
Tout au long du livre, à travers de nombreux exemples, Sarah Doraghi met ainsi en lumière l’absurdité de lois liberticides qui transforment les moindres gestes du quotidien en actes punissables. Les interdits se multiplient à l’infini, étouffant la population dans tous les aspects de sa vie privée : relations amoureuses, fréquentations mixtes, tenues vestimentaires, écoute de musique, danse, consommation d’alcool ou mixité dans les lieux publics… Rien n’échappe à la vague puritaine des islamistes qui ont confisqué le pouvoir.
Même constat dans la vie publique, où les Iraniens se voient privés de leurs droits les plus fondamentaux : liberté d’opinion, de conscience, d’information, d’expression… La censure imposée par le régime est implacable, réduisant au silence toute voix dissidente, comme le souligne Sarah Doraghi :
Il n’est plus question de tapis persan, le pays est devenu un paillasson pour mollahs et diplomates dépourvus d’humanité et à la conscience effilochée.
Résistance et ruses d'un peuple qui refuse le silence
Pourtant, en dépit de cette oppression de tous les instants, la population iranienne n’a pas renoncé à ses rêves de liberté, tant s’en faut. C’est là tout l’intérêt du témoignage de Sarah Doraghi, qui montre comment les Iraniens usent de subterfuges au quotidien pour échapper, ne serait-ce que fugacement, à l’emprise des islamistes. Avec humour et tendresse, à travers de savoureuses anecdotes et un regard empli d’empathie pour ses compatriotes, elle nous fait ainsi découvrir toutes sortes de combines, de petits actes de résistance civils pour déjouer la surveillance des autorités :
À un endroit précis, une petite partie des barbelés a été sectionnée, laissant une minuscule ouverture vers le lac. Pour le plaisir de s’en approcher ou pour celui de désobéir, les habitants du coin viennent braver l’interdit et passent par le trou des barbelés pour fouler le sol de la liberté. Parfois pour marcher quelques minutes au bord du lac, parfois pour faire un pique-nique en famille, manger vite et partir vite. Ici, la désobéissance est le premier signe de la liberté.
Même combat dans la sphère privée, où malgré les risques encourus, les jeunes bravent les interdits pour vivre leur vie et leur liberté : accès aux réseaux sociaux, sorties nocturnes, fréquentations mixtes, fêtes entre amis… Autant de manières de résister pacifiquement à l’obscurantisme ambiant :
Vivre sa jeunesse, organiser des soirées, s’habiller comme les jeunes des pays libres, comme dans les stories sur Instagram, boire sa première gorgée de bière, fumer son premier joint, avoir sa première expérience sexuelle, trinquer, rire fort, se réveiller avec la gueule de bois d’une veille heureuse, tel est le chemin qu’empruntent les jeunes rebelles iraniens, préférant les pires odeurs de l’interdit aux mille parfums des houris, ces vierges promises en récompense aux bienheureux aux portes du Paradis.
Fer de lance de cette lutte au quotidien, les femmes iraniennes font preuve d’un incroyable courage, n’hésitant pas à transgresser les codes vestimentaires qui leur sont imposés. L’auteure décrit avec force détails l’intersectionnalité de la domination patriarcale et religieuse qui sujette les iraniennes à une multitude d’interdits absurdes au quotidien, que ce soit dans la sphère publique (code vestimentaire rigide imposant le port du voile, interdiction de fréquenter des lieux mixtes, de voyager sans la permission d’un tuteur légal masculin, de conduire une moto…) ou dans la sphère privée (relations mixtes prohibées, sexualité niée…), affectant tous les aspects de leur émancipation en tant que femmes et citoyennes jouissant de droits fondamentaux. Sarah Doraghi rend ainsi un vibrant hommage à ces Iraniennes ingénieuses qui, au péril de leur vie, osent ôter leur voile ou se grimer en cachette pour exister en tant que femmes. Symboles de la résistance face aux mollahs, elles portent l’espoir de tout un peuple de voir advenir un Iran libre et démocratique.
L’espoir chevillé au corps
Iran In/Out est donc un témoignage à la fois poignant et vivifiant sur le combat que mène le peuple iranien face à l’obscurantisme. Poignant car il montre le calvaire quotidien des citoyens sous la coupe d’un régime liberticide. Vivifiant car il célèbre la vie qui toujours trouve son chemin, l’espoir chevillé au corps de femmes et d’hommes prêts à tout pour un souffle de liberté. Comme le proclame Sarah Doraghi dans un ultime élan :
La vie ne s’interdit pas. Elle ne se laissera plus jamais interdire. Une démocratie laïque n’est plus un rêve mais notre projet. Un projet commun, avec les femmes et les hommes, avec les Iraniens de l’intérieur et les Iraniens de l’extérieur et avec toutes celles et ceux qui croient aux valeurs communes de la liberté.
C’est ce message universel porté par le courage d’un peuple que tous les défenseurs des droits de l’Homme se doivent d’entendre. Le livre de Sarah Doraghi nous le rappelle avec force : face à l’oppression, le silence n’est pas une option. À l’instar d’Hannah Arendt dénonçant avec force le totalitarisme et les atteintes aux libertés fondamentales, Sarah Doraghi relève le flambeau de la vigilance et de la solidarité avec les peuples opprimés à travers cet ouvrage criant de vérité.
Au nom de Mahsa Amini, dont la mort tragique n’aura pas été vaine, et pour toutes les victimes de la dictature iranienne, la mobilisation doit être mondiale. L’espoir est permis car le jour viendra, assurément, où les Iraniens goûteront enfin à une vie libre et démocratique. Ils le méritent tellement…
Chroniqueur : Jean-Jacques Bedu
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