« Qu’importe ma vie ? Je veux seulement qu’elle reste fidèle à l’enfant que je fus ». Cette phrase écrite par Georges Bernanos, dans « Les Grands Cimetières sous la Lune » eût pu figurer en épigraphe du livre de Bernard Revel sur la Jeunesse de Charles Trenet, tant cette période symbolise la carrière du « Fou chantant ».
Une enfance hors du temps, préliminaire au devenir d’une existence qui allait marquer à jamais l’itinéraire de cet adolescent du Midi. L’Occitanie d’un côté, la Catalogne de l’autre. L’auteur souligne dès les premières pages :
Il fallait sans doute être le fils d’une Narbonnaise et d’un Perpignanais, mélange détonnant de sang cathare et catalan, pour savoir capter dans l’air du temps, toute l’alchimie qui donnerait sens à une époque et poursuivrait de son parfum universel des générations entières.
Une dualité d’appartenance de terroir, qui a manifestement contribué à l’investigation menée par Bernard Revel, audois de naissance et professionnellement rattaché en Roussillon. En qualité de journaliste précisément, où entre maintes dispositions de reporter et d’éditorialiste, celui-ci a beaucoup écrit sur la variété. Tout au moins sur ses dignes représentants tels que Barbara, Brel et autres Léo Ferré, qui n’ont, d’ailleurs, pour père spirituel qu’un certain Charles Trenet. Ce « Swinger-troubadour » qui avait amalgamé le premier la poétique d’un Brassens à la rythmique de Nougaro. « Le jazz pour donner de la légèreté à l’apesanteur, de la joie malgré tout à la vie qui va. La poésie pour exprimer les diverses facettes de la vie humaine « , comme le dit joliment l’ami Revel.
Tout l’immense talent d’un véritable artiste contenu en germe dans les différentes étapes de l’adolescence. Car c’est là, en effet, la raison d’être de l’ouvrage. Une période clé déterminante pour comprendre l’homme-protée du music-hall dont le biographe va nous révéler tous les secrets.
À commencer par les souvenirs de la « Cité Rouge » de Narbonne ; la grande maison près de la passerelle, les promenades sur les Barques, et les escapades jusqu’à La Nouvelle où « le train de Perpignan s’arrête trois minutes dans le vent qui courbe les pins et les tamarins du jardin de la gare. » Avant que ne s’agrègent par filiation paternelle, les réminiscences de la bonne ville de Perpignan, son Castillet « inébranlable dans sa carapace de briques » et sa nouvelle bande de copains qui va pimenter et d’une certaine manière, aiguiller sa destinée.
Mais avant d’évoquer les relations mouvementées – et combien fertiles à la fois – de son adolescence, l’on va suivre à la trace ces foyers successifs. Dans la petite maison, sur l’avenue de la gare, celle de la rue de la Cloche d’Or ensuite, lieux de vie d’où il s’évadera vers d’autres horizons. Vers le théâtre d’abord, puis vers l’écriture dans les locaux du « Coq catalan », sous la houlette du poète Albert Bausil qui le prendra tôt sous son aile, devenant en même temps son mentor… et son compagnon.
Ce « vieil » Albert, poète, chroniqueur et grand animateur de la vie culturelle perpignanaise qui discernera vite l’immense potentiel du jeune Charles et en fera, à l’orée de sa carrière, un éloge flamboyant.
Charles Trenet, c’est un ferment de joie, un comprimé d’enthousiasme, le halètement de la verve rythmée. C’est la quintessence du soleil et du Midi. Il ne sort pas d’un cabaret de Montmartre ou de Montparnasse. Il sort des bois. Il revient des champs et de la vigne.
Dira-t-il en 1939. Sans oublier cependant de mentionner leur symbiose originelle.
Par les matins tout balayés de tramontane, ensemble nous avons couru les plages, les sommets, les ermitages. Ensemble nous avons connu ces beaux hivers de Font-Romeu, ces siestes d’été dans le parc de Vernet-les-Bains et ce doux printemps de l’heureuse Albère où l’on voit des bois de micocouliers, des pêchers en fleurs dans tous les halliers…
Autant de sensations si prégnantes dans le jeune vécu de Charles qui deviendront le creuset d’innombrables succès. De « Douce France » à « Mes jeunes années » en passant par « La jolie sardane », « Fidèle », « Nationale 7 » et autres « Boulem pam boli », la muse inspiratrice fourmillera de références aux terroirs Catalans et Audois.
Une égérie qui a manifestement stimulé la faconde de Bernard Revel, tant cette biographie de l’enfance d’un poète – au demeurant enrichie d’un album posthume – séduit par son style comme par son exhaustivité.
Michel BOLASELL
articles@marenostrum.pm
Revel, Bernard, « La folle jeunesse de Charles Trenet », Balzac éditeur, 19/10/2021, 1 vol. (139 p.-7 pl.), 12€
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