Arnaud de La Grange, La promesse du large, Gallimard, 14/03/2024, 288 pages, 20,00 €.
Aidan, personnage principal et narrateur du roman La promesse du large d’Arnaud de la Grange est, depuis l’enfance, orphelin de père et mère. Il est surtout orphelin de mer puisque devant à un naufrage atlantique, la disgrâce d’avoir subi, si jeune, la perte de ses géniteurs. Depuis, il a traversé une vie de douleur, de colère et d’esquive, fuyant tout à la fois son histoire familiale, les réponses à ses questions, l’Océan et les êtres humains pouvant l’aider à une salutaire résilience.
Mais il est une étape du début de l’âge adulte où l’on ne peut se construire sur le mensonge, l’ignorance ou le déni. C’est dans cet âge qu’Aidan décide, sur un coup de tête, de faire le voyage vers la côte bretonne où le voilier de ses parents a naufragé, trente ans auparavant. Venu pour quelques jours de villégiature dans le petit port au large duquel a eu lieu le naufrage, notre héros va prolonger son séjour à mesure que ses questions demeureront sans réponse et que l’étrange charme des lieux va opérer sur lui. A mesure, aussi, de ses rencontres avec les gens du cru, hommes rudes et taiseux, rompus aux silences des mers, femmes fortes gardant les rives rocheuses, tous peu enclins à révéler à Aidan le secret honteux qui entoure la disparition de ses parents et qui englue le port de pêche comme le ferait le pétrole poisseux d’une marée noire. Et puis il y a Manon, jeune femme portant en elle son propre naufrage et avec qui notre héros va peu à peu nouer une relation décisive, de celles qui changent le cours d’une vie.
Quand le secret après lequel Aidan a si longtemps couru lui est enfin révélé vers la moitié du roman, le lecteur se demande alors quels vont bien être les ressorts narratifs qui vont porter la seconde partie du livre. Cette dernière, toute entière tournée vers la mer et la navigation agit comme un implacable révélateur des natures profondes de chaque personnage qui ne peuvent plus tricher face à la puissance et la beauté des éléments.
La promesse du large est un roman de résilience qui explore en profondeur le poids des secrets enfouis, les vents contraires qu’il faut parfois affronter pour devenir soi- même, les récifs qu’il faut contourner pour mener à bien son voyage, les mains qu’il faut savoir saisir pour avancer en eaux troubles. Il est aussi une ode à l’Océan, à son mystère, à sa beauté, à sa force implacable et à l’humilité dont chaque être humain qui se pique de le côtoyer doit sans cesse faire preuve. Il est un roman de silences, certains affreusement pesants et sclérosants, d’autres respectueux et salutaires puisque portant en eux le respect profond de la nature et la solidarité tacite entre les hommes.
Arnaud de la Grange qui fut journaliste et grand reporter, couvrant les bruits et les horreurs du Monde, est ensuite devenu un romancier qui sait dire le beau, l’insondable, le presque magique. Grâce à une écriture magnifique, savant mélange de fulgurances littéraires, de punchlines poétiques ou de vocabulaire maritime, il compose un roman d’amours où se mêlent les sentiments humains et ceux que génèrent la nature. L’auteur navigue de l’un l’autre avec la grâce de celui qui a déjà vécu et à qui l’Océan a sans doute déjà fait le cadeau d’un éblouissement salutaire. Il tisse avec talent le fil ténu entre le destin des hommes et celui des éléments qui les hébergent comme quand il dit dans une phrase magnifique qui suffirait à composer un quatrième de couverture séduisant : « La mer me semble plus proche que la terre de notre condition humaine. Changeante, jamais figée. Comme nous, condamnés à devenir sans cesse, sans être jamais vraiment. »
Chroniqueur : Alain Llense
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