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Niccolo Ammaniti, La vie intime, traduit de l’italien par Myriem Bouzaher, Grasset, 03/01/2024, 1 vol. (374 p.), 23€

La plus belle femme du monde a-t-elle droit à une vie intime ? La plus belle femme du monde, épouse du Président du Conseil italien, peut-elle prétendre à une autre existence que celle qui consiste à être exhibée, au bras d’un homme puissant et au gré des besoins politiques ou sondagiers de son mari ?

Maria Cristina Palma est cette femme-là, ex-top-modèle adulée par les uns pour sa plastique irréprochable, détestée par les autres pour les mêmes raisons. Icône au sens quasi métaphysique du terme, elle truste les unes de magazine, les émissions à scandale de la télé poubelle et alimente, par chacune de ses apparitions ou le moindre de ses faits et gestes, la grande lessiveuse à n’importe quoi des réseaux sociaux. Enfermée dans la prison dorée des palais romains, soumise aux déraisonnables prudences des services d’ordre qui veillent sur sa sécurité, hantée par un passé fait de deuils récurrents, notre héroïne dissimule difficilement sa peine au point que certains la surnomment parfois « Maria Trisitina ». Son mari, rongé par ses obligations et son obsession du pouvoir la néglige, les conseillers censés la seconder et la soutenir la méprisent et seule la présence à ses côtés d’un ami d’enfance devenu homme à tout faire et de sa fille Irène, rompent péniblement sa vie d’angoisse et d’ennui.

Aussi, quand réapparaît fortuitement dans sa vie, un fugace amour de jeunesse, Maria Cristina ressent le frisson oublié des temps de l’insouciance. Nicolas incarne cette jeunesse enfuie, cette légèreté désormais interdite, il a bien vieilli, il est toujours beau et ne laisse pas insensible celle qui vient d’être élue « plus belle femme du monde ». Les deux ex-amants se revoient, communiquent de plus en plus régulièrement, Nicolas envoie, par texto, à Maria Cristina, des photos de leur jeunesse. Mais au cours de l’un de ces envois, au beau milieu de ces quelques photos innocentes, il glisse une vidéo qui met en scène les deux tourtereaux à l’époque de leur romance dans une sextape qui se passe de sous-titres. Immédiatement, la first lady italienne perçoit les dégâts incommensurables que pourrait causer la diffusion d’une telle archive sur sa vie qui n’a de privée que le nom mais aussi sur la scène politique nationale et internationale. Pendant une semaine, elle va s’employer à empêcher qu’un tel cataclysme ne se produise entre demande d’aide au mystérieux Bombyx (community manager de son époux), volonté de semer les services d’ordre de la présidence et tentatives échevelées de résoudre la situation par elle-même.

La vie intime de Niccolo Ammaniti est une plongée en milieu acide, le tour d’un monde, le nôtre, où fausse morale et vrais coups bas sont devenus la norme dans les sphères dirigeantes, le tout grossi par la caisse de résonance que constituent la presse à scandale et les réseaux sociaux. La politique est là, en toile de fond, mais dépourvue de toute idée-force ou de toute exigence morale, elle n’est que le décorum d’ambitieux, uniquement soucieux du pouvoir pour le prestige et la richesse pécuniaire qu’il promet… Oscillant entre thriller haletant et comédie à l’italienne, l’écriture de Niccolo Ammaniti nous captive, nous divertit, nous amuse par moments devant le cirque débridé des grands de ce monde. Elle permet également à son auteur et donc à ses lecteurs, de réfléchir à la dictature des apparences qui régit notre époque dans un style et un format qui donneraient sans doute une plaisante adaptation cinématographique ou télévisuelle.

Image de Chroniqueur : Alain Llense

Chroniqueur : Alain Llense

llenseajl@gmail.com

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