Alejandro Jodorowsky, La voie de l’imagination, Actes Sud, 31/01/2024, 312 pages, 24,00 €.
Alexandre Jodorowsky, auteur de bandes dessinées, cinéaste et écrivain, a aussi exercé la fonction de guérisseur, en pratiquant pendant des années des consultations de tarot au café Le Téméraire, à Paris. C’est tout le sujet de ce livre, qui définit le rôle de l’inconscient, de l’imagination et le traitement des névroses par la magie.
La psychomagie, une méthode de guérison originale
La psychomagie, cette méthode thérapeutique créée par Jodorowsky, ne résulte pas de sa réflexion intellectuelle, mais constitue l’aboutissement d’un processus artistique mené sous l’influence de René Daumal, Eliphas Lévi, Kurt Joos et les surréalistes, mais aussi Antonin Artaud, le maître zen Ejo Takata, le film El de Luis Buñuel, la guérisseuse mexicaine Pachita et la psychanalyse de l’auteur avec Erich Fromm. De ce syncrétisme est née une forme de thérapie très différente de la psychanalyse, à laquelle elle s’oppose par divers points qu’énumère Jodorowsky, gratuité, passage à l’acte, toucher des patients, analyse de la réalité comme s’il s’agissait d’un rêve, et guérison de l’être entier, corps, sexe, cœur, intelligence et âme. L’écrivain a d’abord prodigué des conseils psychomagiques, de manière expérimentale, lors de séances de lecture de tarots, avant de codifier les lois de la psychomagie : “La première de ces lois est ce que j’appelle “tirer l’âne par la queue”. Lorsqu’une personne a un problème, il faut l’enfoncer dans sa problématique pour l’en sortir.” Cette dénomination a été inspirée à Jodorowsky par une anecdote du psychanalyste américain Milton Erickson.
L’auteur lui-même émaille sa présentation d’exemples concernant les différents troubles qu’il s’attache à soigner, éjaculation précoce, traumatismes de l’inceste, frigidité, problèmes identitaires, etc. et invite ses patients à passer à l’acte, dans des lieux qui pourraient sembler insolites :
Un autre élément que j’ai beaucoup utilisé en psychomagie, ce sont les cimetières. Dans le cas d’un consultant qui n’avait pas pu exprimer toute sa colère à une personne décédée, j’ai osé l’envoyer déféquer sur son tombeau. Cet acte est vécu comme une libération de la colère, du non-dit.
Efficacité du passage à l’acte
L’auteur explique aussi les changements opérés sur les consultants, même lorsqu’ils se montrent sceptiques sur leurs capacités à réaliser des actes psychomagiques, et il montre la connexion entre le patient et le guérisseur, qui préconise des échanges d’identité dans les cas, très fréquents selon lui, d’inversion des archétypes masculin/féminin. Il énonce ensuite la seconde loi de la psychomagie : pour obtenir ce qui nous a toujours été refusé, il faut le vivre de façon métaphorique, et se réfère à un autre de ses livres, intitulé Métagénéalogie, dans lequel il met l’accent sur “le rôle primordial de l’accouchement dans la naissance.” Il tente d’apporter au consultant tout ce dont il a été privé pour permettre son développement et son épanouissement émotionnel. Il insiste sur la nécessité de la séparation en douceur du corps du bébé de celui de la mère, et sur la pratique du “massage de naissance”, destiné à ceux qui ont eu des problèmes à leur naissance, en particulier celui de l’absence de désir parental. Jodorowsky décrit ensuite ces massages et leur fonction, qui reproduisent en accéléré la conception, la gestation et la naissance. Il s’intéresse aussi à la question de l’IVG, et au rôle joué par les morts violentes des générations précédentes sur les fausses couches, un lien qu’il juge aussi mystérieux qu’intrigant. Il interroge aussi le rôle joué pour certains par la perte de l’argent, qui peut être vécue de manière aussi tragique que la perte d’un fœtus parce que, dans les deux cas, cela est souvent relié à un problème de créativité.
Obéissance de l’inconscient : une nécessité du processus de guérison
La troisième loi de la psychomagie énonce que l’inconscient doit apprendre à obéir. En psychomagie, souvent la première réaction de la personne est ce que j’appelle "la phase de marchandage". Je donne un acte très précis et le consultant cherche à l’accommoder à sa façon.
L’acte repose sur la notion de contrat passé entre patient et guérisseur, un contrat qu’il faut respecter à la lettre, sous peine de s’avérer inefficace. Jodorowsky ne se fonde pas sur des principes moraux pour pratiquer la psychomagie, il ne conseille pas à ses patients d’étouffer leurs pulsions mais de les autoriser à les vivre symboliquement. Ainsi, celui qui veut tuer son père devra égorger un coq, le faire cuire avec des amis et le manger pour faire disparaître sa colère.
Les problèmes dont souffrent les patients de Jodorowsky ne sont pas d’après lui individuels mais généalogiques, et relèvent de névroses familiales à visée autodestructrice. C’est pourquoi l’arbre généalogique joue un rôle essentiel dans la psychomagie en devenant un outil thérapeutique. Le patient est appelé à s’autoguérir, devenant ainsi son propre thaumaturge. “La sublimation nourrit la transformation ; l’élément de mort devient un élément de vie”, écrit-il. Plus l’acte proposé par le thérapeute apparaît difficile, plus il s’avère efficace. La fin du rituel d’accès au monde magique libère le consultant de ses obsessions.
Un texte composite
Le livre de Jodorowsky comporte plusieurs parties : une présentation très étoffée de sa méthode, une conférence donnée sur le sujet à l’université de Jussieu en 1987, qui s’apparente plutôt à une séance de consultation collective, quelques pages de clôture sur la notion de psychotranse, et un très long corps de texte consacré à la correspondance de ses patients, qui fait partie du contrat thérapeutique, par lequel ils se sont engagés à écrire à leur thérapeute une lettre rappelant la pathologie dont ils souffrent, puis racontant leur passage à l’acte et les effets de ce dernier.
On constate des récurrences dans la structure des lettres et les traitements conseillés, qui relèvent de la pensée magique et se fondent sur des substances corporelles, comme le sang menstruel et les excréments, mais aussi du miel, des plantes ou de l’eau bénite. Les rituels divergent mais se ressemblent en partie. Les lettres énumèrent une série de cas cliniques guéris par la foi dans la pratique magique.
Ouvrage surprenant, La voie de l’imagination permet d’entrer en profondeur dans la pensée de Jodorowsky, et de comprendre ce qui sous-tend sa création. L’auteur se réfère dans ce livre foisonnant à certains de ses films ou de ses livres. Il montre le pouvoir de l’imagination et des croyances, aux antipodes de la pensée rationnelle, et donne de nouvelles clés pour aborder l’univers symbolique et syncrétique de ce créateur aux multiples facettes, films, œuvres poétiques, bandes dessinées, tant admiré que controversé.
Chroniqueuse : Marion Poirson
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