Un confinement inattendu… Les rêves d’un monde différent qui, « après » nous ramènerait à l’essentiel : moins de consommation, et plus de nature, moins d’écrans et plus de vrais relations avec « l’autre »…
Apprendre à perdre son temps et moins courir pour le gagner… Un temps « d’après la Covid » qui nous conduirait à plus de solidarité et de proximité entre générations, et à la saveur des choses simples.
L’envie soudaine d’un petit coin de paradis entre mer et soleil ! Ce qui semble bien aujourd’hui n’avoir été que rêverie utopique, certains parmi nous, enfants de l’immédiate après-guerre, l’ont connu, comme l’auteure elle-même, au Bourdigou.
Hélène Legrais, grande écrivaine de terroir, qui a son pays catalan chevillé au cœur et à la plume, fait revivre aujourd’hui dans son dernier ouvrage « Le Cabanon à l’étoile » ce qu’a été la vie intense de l’autoproclamée « commune libre du Bourdigou » entre Torreilles et Sainte-Marie, sur le littoral méditerranéen.
Ce qui avait été à l’origine un modeste village de pêcheurs, regroupait alors quelques cabanons construits en « sanils », liasses de roseaux, matériau local, gratuit, robuste et étanche. Le Front populaire et l’avancée sociale que furent les congés payés, amenèrent un flot de joyeux vacanciers aux revenus modestes. Eux, installèrent des constructions précaires et plus hétéroclites, généralement démontées en fin de séjour et reconstruites l’année suivant.
Mais certains n’hésitèrent pas à rendre l’habitation pérenne et plus confortable, par l’adjonction d’une terrasse ou l’implantation d’un petit potager. Il approvisionnerait en salades de l’été, partagées à l’ombre d’un figuier ou dans le parfum d’un citronnier.
Au Bourdigou, on refaisait le monde autour d’un vieil anarchiste, ou aux sons d’une guitare. On se baignait nus… Ou pas ! Et dans la journée, on reconstruisait le cabanon des voisins, ravagé par un incendie. Et pour restaurer une route, nul n’hésitait à prêter ses bras et ses outils.
Paradis pour les enfants qui disposaient de ce territoire enchanteur, « le ciel, le soleil et la mer » que chantait si bien François Deguelt ! Et pour les adultes qui y oubliaient soucis et médiocrité du quotidien entre les flots bleus, tablées conviviales et bals improvisés.
L’héroïne d’Hélène Legrais, Estelle, y fuit la bourgeoisie perpignanaise dont elle est issue, pour y mener sa vie d’artiste de peintre cinquantenaire, indépendante et non conformiste. Elle y entretient une liaison passionnelle avec Antoine, relation, qu’elle veut discrète, car il est marié.
Le hasard met sur sa route, une jeune fugueuse à la beauté rayonnante, bien peu loquace, qui se prénomme Cassiopée. Nom emprunté à la mythologie grecque ou à la constellation reconnaissable à sa forme en W ?
Estelle est loin de se douter, en offrant à la jeune fille sensuelle et débridée, l’asile protecteur du cabanon à l’étoile, que sa présence va provoquer un séisme au Bourdigou. Tensions masculines prédatrices chez les hommes et pulsions hostiles chez les femmes, Estelle, devant l’enfant perdue, ses absences, ses silences et ses abandons étranges, sent naître en elle un puissant élan maternel jusqu’alors toujours rejeté.
Le douloureux secret de Cassiopée lui étant révélé, elle va lui offrir une découverte « en raccourci » de la beauté du monde à travers un périple en pays catalan. Et c’est tout le talent d’Hélène Legrais de nous découvrir la magie de nos paysages à travers le regard émerveillé de la petite banlieusarde ignorante.
Mais l’escapade achevée, il va falloir se heurter à la réalité, même si elle s’annonce cruelle.
D’une rencontre il restera de doux souvenirs, le portrait d’une jolie sirène, et l’envie, les soirs d’été, de rechercher une constellation dans la voûte étoilée… « Un jour, quand tu seras consolée, car on se console toujours » aurait dit le Petit Prince.
Le « cabanon à l’étoile » comblera le lectorat fidèle d’Hélène Legrais, et bien au-delà, tant il est abouti, généreux et solidement documenté. Sa plume traduit si bien ce climat de liberté chaleureuse, cette joyeuse proximité qui fait d’un village de vacances dont le souvenir perdure, figé, dans quelques poignées de photographies familiales, un microcosme vibrant de vie. Il touchera tous ceux qui ont connu le Bourdigou, territoire illicite, certes, mais avant tout « utopie populaire, égalitaire et solidaire » (p. 295).
Rasé par les Allemands et reconstruit après la guerre, le « Bourdigou » et son « cabanon à l’étoile » fut détruit une seconde fois par les bulldozers, au petit matin du 24 avril 1979. Les décombres furent incendiés… Au loin s’étalent les cités balnéaires bétonnées. Il ne nous reste plus que le ciel pour rêver.
Christiane SISTAC
articles@marenostrum.pm
Legrais, Hélène, « Le cabanon à l’étoile », Calmann-Lévy, « Territoires », 03/11/2021, 1 vol. (297 p.), 18,90€
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