S’il a l’art consommé de varier ses thèmes fictionnels – qu’il s’agisse des pièges d’internet dans « La lumière s’effondre » ou de la télé-réalité avec « Réelle », voire du récit autobiographique, « Avant la longue flamme rouge » qui lui a récemment fait décerner le Prix Orange –, Guillaume Sire a cependant un commun dénominateur d’écriture. Celui d’un style sobre autant qu’imagé, le plus souvent puisé dans un environnement familier qui séduit son lectorat au fil des diverses intrigues.
Tel est le cas de son dernier opus « Les contreforts », où la magie de langue n’a d’égale que l’exquis descriptif de son environnement occitan. Car par-delà le canevas somme toute assez classique d’une famille de hobereaux prêts à défendre bec et ongles leur château fort en ruines, c’est la grâce du verbe qui constitue ici l’élément dominant.
Enseignant à l’université de Toulouse Capitole, l’auteur est à l’évidence un coutumier de ces terres d’Oc, et cet ancrage singulier constitue en quelque sorte le fil d’Ariane du roman.
Il n’est pour s’en convaincre de voir comment, dès les premières pages, ce dernier réussit si bien à en planter le décor. « Quarante hectares de vigne font au château une traîne de mariée tantôt d’émeraude, tantôt de rubis ou d’or mat, transmuée dans l’hiver en mantille de veuve. »
Entre Carcassonne et Palaja, la situation du fort cabossé, bouclier du fond des âges, se poursuit ainsi avec la même veine. « Au sud et à l’est, les Corbières enfoncent leurs racines de granit dans les traces d’un océan paléolithique, et dans les souvenirs calcifiés d’une époque pas si lointaine où la neige tombait à Noël sur les pâtis des plateaux. »
Quiconque a musardé un jour d’hiver dans ces contrées sauvages des Corbières, retrouvera avec plaisir ce mystérieux univers des hauts plateaux audois d’où se détache au loin, via une pincée de nuages, le bleu sombre des étangs.
On se croirait transporté dans le décor rugueux « d’Un de Baumugnes » si bien décrit par Giono. Et à l’image du romancier de Manosque, Guillaume Sire sait fort bien tirer parti de ces territoires disloqués pour évoquer l’épopée baroque d’une famille atypique. Les Testasecca en l’occurrence, avec leur chef de tribu vigneron lyrique et bagarreur, sa femme Diane et leurs deux enfants qui n’ont qu’une idée en tête : défendre leur propriété et leur château délabré cerné d’amas de pierres et de trous d’eau.
Dans cette rude région des Corbières habitée de légendes façonnant le cœur des hommes, un implacable processus se met ainsi en place.
Noué à l’esprit du Loghaus, sorte de démone invisible appelée sinagrie, le destin de Pierre de Testasecca s’insère dans un futur sans issue.
Pour ne pas vendre ses biens et résister au diktat de l’administration, l’ex-baron déchu dilapidera ses ultimes forces entraînant dans sa rébellion le reste de sa fratrie.
Entre le fils, Pierre, impénitent braconnier et sa sœur Clémence, rêveuse autant que folâtre, tous deux voués corps et âme à leur père, l’esprit de fronde ira s’accentuant pour déboucher sur l’inéluctable, malgré toute la sagesse de la mère.
Sans en dévoiler l’issue inexorable, l’on franchit de la sorte les diverses étapes d’une lutte sans merci dans un entrelacs d’émotions fortes où suspense et collusion familiale en accentuent l’intensité.
Le tout constamment baigné dans cette atmosphère singulière – sinon mythologique – des Corbières que l’auteur restitue avec une savante acuité.
En disséquant ainsi le vécu palpitant de ses protagonistes Guillaume Sire fait bien mieux que dévider le cours d’une histoire tragique, il entraîne le lecteur dans une éblouissante odyssée…
Michel BOLASELL
articles@marenostrum.pm
Sire, Guillaume, « Les contreforts », Calmann-Lévy, « Littérature », 18/08/2021, 1 vol. (356 p.), 19,90€
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