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Au début des années 1980, il suffisait d’une chambre en désordre, d’une contrariété, d’un évènement chaotique, pour que nous employions aussitôt l’expression : “C’est Beyrouth ! ” Qui se souvient des reportages du courageux Dominique Baudis – alors correspondant pour la télévision française dans la capitale martyre en proie à une guerre civile aussi affreuse qu’incompréhensible – et qui y fut blessé par balles en accomplissant son travail ? Les dévastations de ce conflit, ayant pour origine la fusillade d’un bus de Palestiniens dans un faubourg de Beyrouth, et qui va durer 15 ans, sont encore dans les mémoires de toute une génération. Tout n’était alors que désordre et ruine, bombardements quotidiens, massacres ethniques, multiplications de milices qui firent couler le sang des chrétiens, des musulmans et des juifs ; une civilisation raffinée et multiséculaire qui sombrait un peu plus chaque jour dans le chaos. Un protectorat français né dans les années 1920 de l’effondrement de l’Empire ottoman, et qui arracha enfin son indépendance le 22 novembre 1943. Un Liban qui nous est à la fois si loin, mais si proche, que Beyrouth était naguère surnommé le “Paris du Moyen-Orient”…

C’est dans ce Liban du début des années 1980, où le bien crève en mal et le mal fleurit en bien, que se situe le magnifique roman de Céline Bentz. La famille Haddad est Sunnite. Pauvre, mais forte de sept enfants, elle est comme Beyrouth, emplie de contradictions, toujours au bord de l’abîme, et partagée par la douleur d’un fils qui a épousé la cause palestinienne, d’une fille soumise en proie à un mari alcoolique et violent, et l’espoir qui repose en Amal, la petite frondeuse n’ayant peur de rien, et que l’on destine à faire des études de médecine en France. Un obstacle va survenir sur une route qu’Amal et la famille Haddad croyaient pourtant bien tracée : “Elle le détailla à travers les interstices métalliques. Sa haute taille et ses yeux vairons, l’un vert, l’autre gris-bleu, lui donnaient fière allure, même s’il était trop soigné pour être honnête”. Youssef. Un amour interdit, parce qu’il est chrétien maronite et qui – dès leur première et orageuse rencontre – lui dit :

Nous avons oublié de parler d’amour ici, depuis le temps que nous ne parlons que de guerre, de martyrs, de massacres et de malheurs.

Cette seule phrase pourrait résumer le fil conducteur de ce premier roman si bien mené, qu’en faisant reposer l’amour sur les bases de l’impossible, il nous offre une perspective d’infini. On ressort de sa lecture avec le désir de comprendre les raisons de cette guerre civile dont on suit – et c’est l’un des grands mérites de l’auteure – les rebondissements, comme on pourrait se plonger avec passion dans un livre d’Histoire. Tout est précis, ciselé, rien ne semble laissé au hasard pour que l’intrigue – et sa fin stupéfiante – nous laissent interdits.

Évitant le poncif de nous offrir un drame shakespearien, on ne peut rester indifférents aux destinées respectives d’Amal et de Youssef. On fait corps avec ces deux personnages. On partage leur idéalisme, leur fougue, le poids d’une tradition, de la résignation, et de la condition de la femme musulmane qui pèse si lourdement sur les épaules d’Amal, toutefois soutenues par l’espoir offert par Youssef, comme un bouquet de fleurs sauvages que ce même Dieu – pour lesquels ils s’opposent – a donné à l’homme à son commencement.

La guerre civile a enflammé la terre libanaise durant plus de quinze ans, et en particulier Beyrouth transformé en amas de ruines. Deux décennies ont été nécessaires pour la reconstruire. Le 4 août 2020, il aura suffi d’une étincelle pour l’effondrer à nouveau et en faire – comme Kaboul – une ville martyre dont l’avenir se construit dans la fumée. “C’est Beyrouth !” Dans cette rentrée littéraire riche d’ouvrages sur le Liban et ses souffrances, “Oublier les fleurs sauvages” est une troublante histoire d’amour que l’auteure a puisée dans les racines de sa famille libanaise. Céline Bentz dispose d’un talent qui – nous l’espérons – comme les fleurs sauvages, poussera à son gré et suivant son bon caprice.

Bentz, Céline, “Oublier les fleurs sauvages”, Préludes, 25/08/2021, 1 vol. (352 p.), 18,90€.

Jean-Jacques BEDU
articles@marenostrum.pm

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