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Jean-Michel Mariou a des modes d’expression multiples : Journaliste, écrivain, éditeur, cinéaste. Nous lui devons l’émission culte sur France 3, « Qu’est-ce qu’elle dit Zazie ?  » Nous savons son amour de la littérature et celui de la « fiesta brava » qui voit l’homme affronter le taureau. Son récit « Ce besoin d’Espagne » paru en 2013 a reçu le « Prix Feria ». Il y revendique sa nécessité de transmettre ses expériences par l’écriture, et la passion qui ne cesse de l’animer pour le monde de la tauromachie.

« Poison d’or », qui a pour thème la mythique mine d’or de Salsigne, se veut romanesque. Il a donc une part de fiction. Cette dernière a récemment fait l’objet d’un documentaire alarmant, écrit et réalisé par Ghyslaine Buffard. « Salsigne : le prix de l’or » a été diffusé sur France 3 Occitanie, le lundi 5 avril 2021.
Fermée en 2004, cette mine fut d’abord propriété d’une société française d’exploitation du minerai de fer. Jugée peu rentable, elle passa aux mains d’actionnaires belges, d’un groupe canadien et enfin d’une société australienne. Connue dès l’Antiquité, elle fut exploitée à outrance, dès la fin du XIXe siècle. Sous prétexte de recherche du précieux métal, elle déversa des tonnes d’arsenic, de plomb, de mercure sur un pan du territoire audois. Elle modifia par des collines artificielles le paysage environnant, masquant sous la végétation une redoutable pollution dont on avait pu très vite évaluer la dangerosité. Par le biais des eaux de ruissellement et la fréquence des épisodes cévenols, elle continue à empoisonner les sols de la vallée de l’Orbiel. Toutes productions maraîchères aux alentours restent interdites à la consommation par un décret renouvelé chaque année. L’État français, qui en fut un temps propriétaire, s’est engagé à dépolluer…

Il manque une lettre au titre choisi par l’auteur pour nous rappeler celui d’un conte populaire russe d’Alexandre Pouchkine. On y voyait en conclusion les éléments se déchaîner pour répondre à la convoitise toujours inassouvie, et aux ambitions de la vieille épouse d’un pauvre pêcheur. Aussi facile que puisse paraître ce lien paronymique entre un conte slave et un roman contemporain, il n’est pas sans intérêt. C’est bien de la terre, de l’eau, et d’un capitalisme sauvage entraînant le malheur des hommes que traite « Poison d’or ». Car à la cupidité des puissants répond toujours la douleur des plus humbles : « À Salsigne une très ancienne malédiction oppose la terre et l’eau. Une histoire éternelle pour le malheur de tous. » (p 41)
Jean-Michel Mariou mélange les genres avec une habileté remarquable, multipliant d’adroits allers et retours entre le présent et le passé. Il se fait historien, à travers la destinée des trois générations de la famille Calman afin de brosser les grandes lignes d’un siècle marqué par deux guerres mondiales, des épisodes de Résistance, de luttes sociales, de vagues d’immigrations successives. Il devient écrivain de terroir à la façon de Jean Giono pour nous parler de l’Occitanie, et plus particulièrement du département de l’Aude. Il en voit la beauté naturelle « des champs, des vignes bordées de talus, un horizon immense… des nuages invisibles de parfums de garrigue, thym, sauge, romarin et cade qui explosent au visage… toujours ce vent qui bouscule les treilles et les frondaisons, le cers incessant qui assomme les bêtes et les gens.  » (p 21)
Il partage le drame des viticulteurs ruinés par l’arrivée du redoutable phylloxéra. Contraints à l’arrachage par ce désastre, ils vont alors travailler à la mine, exposant ainsi leur santé. Mais dans la seconde partie du vingtième siècle, on gagne bien sa vie à Salsigne et d’ailleurs, quelle autre solution pour rester « au pays » ?
Il adopte la rigueur exigeante d’Émile Zola préparant la rédaction de « Germinal ». Les pages 23 et 24 de « Poison d’or » énumèrent comme une litanie les richesses diverses en minerais du sous-sol audois.
Il décrit la mine et ses installations, relate avec précision les luttes ouvrières ou le lucratif commerce de l’acide arsénieux. Il nous apprend même que ce coin de l’Aude a contribué (involontairement) à la déforestation du Vietnam. La matière nécessaire pour la fabrication des « herbicides arc-en-ciel » d’abord utilisée dans les zones de pâturages américaines servit ensuite à produire un puissant défoliant vendu à l’armée : « Entre 1962 et 1972, soixante-huit mille mètres cubes de ce poison furent déversés sur près de dix pour cent de la superficie du Vietnam, en particulier sur tout le delta du Mékong » (p 148)
Enfin, Jean-Michel Mariou a l’adresse de faire de ce texte un polar sensible et crédible.
Gabriel, journaliste et dernier rejeton de la famille Calman, revient pour les obsèques de son père. Mais il va devoir enquêter lui-même sur la mort brutale et suspecte de Turc, son ami d’enfance. Il est présent dans l’incipit. Il le sera aussi dans les dernières lignes afin de porter témoignage.
La fiction a pris sa place. Elle nous réserve ses questions, ses rencontres et ses surprises Elles sont parfois insolites ! Ainsi une citation de Rimbaud, inattendue mais bien venue : « Il a deux trous rouges au côté droit », clôt l’avant-dernier chapitre, en laissant planer une part de mystère.

Ne nous y trompons pas. Jean-Michel Mariou ne s’est pas limité à un fait divers traité sur le mode littéraire du thriller. La richesse des informations qu’il transmet en fait un lanceur d’alerte. Si le site de Salsigne nous interpelle, c’est qu’il nous est proche. Mais combien se trouvent de mines délaissées ou exploitées dans le monde pour un profit immédiat, sans évaluation des conséquences sur l’environnement et les populations ? Quelle destination pour les millions de tonnes de déchets toxiques engendrés par un mode de vie que nous refusons de remettre en cause et que d’autres nous envient ?
« Poison d’or » est un cri d’alarme pour nos élus, pour nos États. Il l’est aussi pour nos consciences de citoyens du monde.

Christiane SISTAC
articles@marenostrum.pm

Mariou, Jean-Michel, « Poison d’or », Verdier, 08/04/2021, 1 vol. (189 p.), 15,50€

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