Le propos d’une émission d’Arte, en préambule, pour évoquer la singularité du personnage.
« S’il fallait incarner le mot cosmopolite, il aurait les traits de Metin Arditi », relatait une présentatrice de la chaîne franco-allemande.
Né en 1948 en Turquie musulmane, d’un père d’origine bulgare et d’une mère arménienne, ce dernier a grandi dans une famille juive auprès d’une gouvernante catholique. Un large apport culturel qui lui fera tôt parler cinq langues, entreprendre de brillantes études et réussir une non moins belle carrière d’hommes d’affaires.
Mais de même qu’il n’est guère courant qu’un businessman troque son quotidien de devises pour une tardive – et non moins notoire carrière d’écrivain –, il est fort rare qu’un même auteur séfarade ait souci de démêler dans ses divers ouvrages la complexité du conflit israélo-palestinien. D’en démêler les strates, non pas en saupoudrant sa fiction d’un zeste d’histoire, mais en décryptant les méandres par l’incarnation de figures romanesques qui témoignent, chacune à leur manière, l’imbroglio de cette discorde.
Un différend devenu, au cours des dernières décennies, d’autant plus incompréhensible à ses yeux, qu’il ne repose sur aucun fondement. « C’est si important de comprendre que cette vie commune et imbriquée entre Juifs de Palestine et Palestiniens n’a rien d’une vue de l’esprit. Car cette fraternité a existé. Et, bel et bien fonctionné », souligne-t-il.
Un achoppement de l’histoire, pierre angulaire de ses romans à succès tel que « Le Turquetto » ou « Rachel et les siens« , sur lequel Metin Arditi vient récemment de s’insurger dans le numéro 3 de « Placards et libelles », un quinzomadaire de la vie intellectuelle française publié aux Éditions du Cerf.
En dix chapitres, son auteur va ainsi faire état, – avec l’objectivité qui le caractérise –, des multiples sujets et points de tension qui reflètent ce déchirement.
Après avoir brossé à grands traits, « Le bruit de fond de l’antisémitisme », Metin Arditi va mettre en lumière la question de l’appartenance des communautés juives de la diaspora, « ce soupçon de la double allégeance » comme il le spécifie.
Selon un sondage de Fondapol pour l’Innovation politique, 91 % des Français interrogés se déclaraient en effet indifférents lorsqu’ils apprenaient qu’une personne de leur entourage était juive. Mais ils n’étaient que 84 % à penser qu’un Juif était un Français comme un autre. Ce qui voulait dire qu’un de leurs compatriotes sur six pensait le contraire.
« Un chiffre qui porte les germes d’un antisémitisme définitif », relevait Metin Arditi. Ce qui, exprimé différemment, ne revenait pas à dire » j’aime ou je n’aime pas les Juifs », mais plutôt : « ils ne sont pas des nôtres et ne le seront jamais… »
S’interrogeant ensuite sur le bien-fondé de la Loi fondamentale votée par la Knesset en 1980, faisant de Jérusalem la capitale d’un État réunifié en contradiction formelle avec les résolutions 476 et 478 du Conseil de sécurité de l’ONU, l’auteur du « Placards et Libelles n° 3 » s’indigne dans un autre chapitre sur l’inique extension des colonies israéliennes en Cisjordanie contraires au droit international autant qu’aux valeurs juives.
Un choix aux antipodes des vœux de son maître Martin Buber, philosophe et pédagogue juif autrichien qui n’a cessé d’œuvrer pour la création d’un État binational judéo-arabe et pour le pacifisme en général.
Doit-on dès lors, au nom d’une appartenance conventionnelle revendiquer une judéité lorsqu’elle contrevient à l’héritage d’un patrimoine moral défini par la Torah, le Midrash ou le Talmud ?
Metin Arditi s’y refuse en l’étayant par ces propos qu’il convient de citer dans leur intégralité.
Peut-être fallait-il que le Juif fût fier naguère d’être ce qu’il était, dans les circonstances où il était malmené et humilié… Perpétuer en revanche, aujourd’hui, le réflexe de se vouloir à tout prix fier d’être juif, l’enseigner comme un dogme aux enfants, porte en soi quelque chose d’une sombre prophétie et renvoie à une définition victimaire de l’identité juive. Je la juge surtout stérile pour l’avenir de la judéité.
Des mots courageux, s’il en est, émanant d’un membre de la diaspora qui interpellent autant qu’ils témoignent d’une méritoire lucidité.
Michel BOLASELL
articles@marenostrum.pm
Arditi, Metin, »Placards & libelles Volume 3, Le onzième commandement : quand obéir, c’est trahir », le Cerf, « Placards & libelles, n° 3 », 04/11/2021. 1 feuille, 2,50€
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