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Il ne nous est pas donné à tous d’avoir une seconde chance. Rarement, touche-t-on la mort du doigt avant de se rétracter, lui demandant de revenir plus tard. Le héros du roman de Jean Guerreschi est l’un de ceux qui ont eu le droit de tout recommencer, de faire table rase et de se réinventer.
Alors qu’il s’apprête à décoller pour Marrakech, le protagoniste aperçoit une fuite de kérosène à travers le hublot. Un débat intérieur s’ensuit alors. Doit-il avertir les stewards, sauver d’une mort certaine les dizaines de passagers présents dans l’avion, ou doit-il laisser place au destin, ne pas s’interposer entre la mort et ses desseins ? Alors qu’il est prêt a s’abandonner, qu’il s’était préparé à accueillir la faucheuse et lui tendre la main, il s’accroche à la vie. Pourquoi ? Cherche-t-il une certaine reconnaissance à avoir sauvé les autres passagers, a défaut de s’être sauvé lui-même ?

Néanmoins, malgré cet effroi du bonheur, il reste ceci, qui le bouleverse en ce jardin au matin du 8 février. C’est qu’à la fin du tome I de sa désormais ancienne vie il ait pu accepter si aisément l’idée de mourir, qu’elle l’ait séduit un jour de semaine et accompagné jusqu’au soir, si forte, si constante qu’elle avait bien failli l’emporter.

Après cette rencontre avec la mort, le personnage arrive enfin à Marrakech. Dans le Riyad où il réside, il lui est permis de redécouvrir la vie et sa beauté. Peut-être même regarde-t-il le monde pour la première fois, l’apprécie pour la première fois. Il vit enfin. Il a agi, il a sauvé. La vie lui a offert sa seconde chance, à lui de la saisir et d’en jouir. La volonté de vive, il la redécouvre grâce à une femme, qu’il désire, possède, puis aime.

Nulle part ailleurs il n’avait été aussi anonymement présent que dans ce Riyad. Le lendemain de la nuit où il sentit l’espace se déchirer par la seule force d’une foi qu’il n’avait pas, il comprit que ce qui l’avait sauvé de l’avion n’était pas quelque désir d’être vivant pour écrire encore, mais une rébellion du corps devant la passivité du discours de catastrophe qu’il se contait à lui-même pour tenter de s’endormir avant la terreur de la chute et la douleur terrible de l’impact.

D’une certaine manière, le protagoniste découvre Dieu. Pour la première fois, il ressent l’amour et la beauté. Dans ce Riyad marocain fondé par une traductrice du Coran, il s’unit avec le monde à travers l’amour. En embrassant cette femme, n’embrasserait-il pas le divin ? Dans la mystique soufie, l’amour charnel est substitut de l’amour de Dieu. Les ghazals, poèmes d’amour mystiques, ne sont qu’une métaphore de l’amour du mystique pour Allah, de la douleur qu’il ressent d’être séparé de Lui, et du désir d’être uni à l’Aimé. En s’unissant à cette femme, il s’unit au monde, à la vie. Il ressent, après des années à n’avoir qu’existé. Son entrevue avec la mort fut un coup de semonce, une occasion à saisir au risque de s’enliser dans un quotidien funeste.

Jean Guerreschi nous pousse à nous questionner. Vivons-nous réellement ? Alors que l’auteur nous rappelle la fragilité de notre existence, il nous invite à aimer, à sentir, à désirer. En somme, il nous enjoint à brûler la chandelle par les deux bouts sans se préoccuper des conséquences. Comme le dit l’adage populaire, mieux vaut avoir des remords que des regrets…

Jean Guerreschi, Riyad, Serge Safran éditeur, »Littérature », 18/03/2022, 1 vol. (157 p.), 16,90 €.

                  Cet article est paru sur le site d’ICI BEYROUTH le 10/04/2022

Image de Éliane Bedu

Éliane Bedu

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