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Guy Birenbaum, La vie devant moi, Flammarion, 29/01/2025, 192 pages, 21€

L’ébauche d’un film avant la rédaction d’un livre ! C’est cette chronologie peu banale d’une œuvre, que l’auteur tient à préciser dans son préambule.
Soucieux de recueillir les archives des survivants de la Shoah, c’est sous la houlette de Steven Spielberg que l’organisation « Survivors of the Shoah Visual History Foundation » a débuté en effet, son enquête. Et c’est l’interview de Tauba, la mère de Jean Birenbaum, qui a servi de base à l’écriture du long-métrage dont on retrouve la totale transcription en fin d’ouvrage.
En ce matin du 16 juillet 1942 la fratrie Zylbersztejn, qui avait fui les pogroms de Pologne une dizaine d’années auparavant, vivait une journée tranquille, la jeune Tauba chantonnant une romance de Charles Trenet, tandis que son père allait reprendre son travail de façonnier. Sans imaginer que dès l’aube, 4 500 policiers de la Préfecture de Paris, extirpaient tous les juifs de la capitale, sur ordre des autorités nazies.
Au total, 12 884 juifs seront ainsi arrêtés lors des journées des 16 et 17 juillet, avant d’être amenés au Vél’ d’Hiv, et ce n’est miracle que la famille Zylbersztejn ait pu y échapper. Grâce à l’aide d’une concierge, Tauba et ses parents rejoignent un appartement inoccupé, mitoyen du leur, mais qui est numéroté dans une autre rue. Ce qui désorientera les policiers à leurs trousses, dépités de ne pas trouver les Zylbersztejn à l’adresse indiquée.

« C’est ici qu’on va vivre ? »

Ne sachant pas vraiment ce qui se trame dans Paris, les parents et leur jeune fille resteront tétanisés dans cet appartement dont l’unique vue donne sur leur ancien logement, désormais vacant.
Jusqu’à ce que la grand-mère Marta soucieuse de leur situation, ne vienne à leur rescousse en dissimulant son étoile jaune, pour les rapatrier de l’autre côté de la capitale.
Rue Saint-Maur, près du canal Saint-Martin où un couple de Français catholiques, les Dinanceau, accepte de les accueillir dans une toute pièce inhabitée. Un havre salutaire, qui sitôt la porte refermée, va susciter la déconvenue.
C’est ici qu’on va vivre ? interroge Tauba décontenancée par l’étroitesse et la vétusté du lieu que décrit l’auteur.

Ce débarras, vraiment minuscule et vétuste, ne fait pas plus de six mètres carrés, environ deux mètres de large sur trois de long. Les meubles sont aussi rares que simples. Une petite table en bois, trois chaises, un sommier posé à même le sol, une vieille commode brinquebalante, un petit poêle Godin dans un coin. La pièce est en revanche dotée d’une fenêtre qui donne sur la cour de l’immeuble. Sur les murs, la peinture se craquelle et tombe même en lambeaux par endroits.

Confinée dans cette masure insalubre, la famille paria se verra contrainte d’y prendre ses marques. La mère accoudée à la table, la jeune fille assise à même le sol et le père devant la fenêtre scrutant inlassablement tout mouvement à l’extérieur. Chacun d’eux s’habituant à identifier et à reconnaître le moindre bruit synonyme d’inquiétude.
Toujours sans rien savoir du sort réservé à ses congénères arrêtés dans Paris et en banlieue, Moshe, le père ne quitte pas la fenêtre, observant scrupuleusement la façon dont la concierge balaie la cour. Toute modification de vitesse ou de rythme dans la manière de manier son balai, pouvant signifier l’approche d’un danger.

Le vol d’un oiseau comme horizon

Une ambiance des plus stressante pour la petite Tauba qui s’altère, paradoxalement lorsqu’elle reçoit l’autorisation de se rendre aux toilettes.
Dès qu’elle se glisse dans le couloir, c’est comme si elle marchait sur des œufs. Dans le silence où chaque son se démultiplie, même le très maigre craquement de ses souliers en cuir est un motif d’inquiétude. Mais l’aventure en valait la peine, comme le souligne l’auteur.

Depuis qu’elle a découvert ces toilettes, Tauba est fascinée par un grand vasistas, situé en haut de la petite pièce. Elle passe à chaque fois le moment le plus long possible à observer ce bout de ciel, parfois gris, parfois bleu qui est visible à travers de cette ouverture inespérée sur le monde. Mais ces moments préférés sont lorsqu’elle entrevoit un oiseau. Un pigeon ou une mouette bien blanche, voilà ce qui transporte Tauba hors de ces lieux. Vers une vie qui continue forcément.

Lentement le temps de cette réclusion va ainsi s’écouler que Guy Birenbaum structure en autant de chapitres Jour 33 ; 182 ; jusqu’au jour 360 de juillet 1943, où les précieux hôtes français leur font part d’une terrible nouvelle. Lucien, leur fils a déserté l’armée française pour s’engager dans la Légion des volontaires contre le bolchevisme et devenir un collaborateur de la pire espèce. Heureusement ce dernier ne sera jamais au courant de la présence de cette famille juive au 209 rue Saint Maur.
Il faudra cependant attendre près d’un an encore pour qu’encouragée par les Dinanceau, la famille Zylbersztejn sorte enfin de leur cachette et s’ouvre à une nouvelle vie dans un Paris en liesse.
Un récit de deux ans d’enfermement et d’angoisse que l’auteur nous donne à lire avec autant de mesure que de réalisme.

Image de Chroniqueur : Michel Bolasell

Chroniqueur : Michel Bolasell

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