Élie de ma joie ! » Il suffit d’un prénom et de l’émotion ressentie à la naissance d’un filleul pour qu’un ouvrage prenne racine. Et quel bel ouvrage, sur un non moins attrayant personnage que cet Élie, immense prophète de la Bible hébraïque !
Au gré des Écritures comme du Talmud, on croyait tout savoir des péripéties d’un des plus marquants messagers divins. Manquait encore à en décrypter le sens plénier et nous en restituer la figure d’une sidérante modernité. C’est l’essai intenté et remarquablement réussi par Gabriel Ringlet.
Professeur émérite de journalisme, investi comme il l’affirme « au croisement de l’Écriture sainte, de la littérature et de l’actualité », ce prêtre Wallon s’était surtout fait connaître par ses engagements écrits sur la laïcité : « Dialogue et liberté dans l’Église », « L’Évangile d’un libre-penseur », « Dieu serait-il laïque ? « .
S’il est également investi au niveau des médias « Dieu et les journalistes » comme auprès des malades en fin de vie dans son apostolat sacerdotal, il n’avait en revanche jamais abordé les figures prophétiques. Celle d’Élie, l’un des messagers les plus attachants des Écritures ainsi que du Qohélet (L’Ecclésiaste) dont les concepts philosophiques sont étonnamment très proches de certains courants de pensée actuels.
Comment ne pas actualiser en effet, la personnalité d’un Élie en proie à une conversion à l’envers, découvrant « que Dieu n’est pas, comme il le croyait, triomphant et tout-puissant, mais se révèle dans un souffle ténu » ou celle de L’Ecclésiaste auteur du célèbre « Vanités des vanités, tout est vanité ».
Reliant ainsi les leçons de sagesse du Qohélet au retournement total opéré par Élie à l’issue d’une existence par trop extrémiste, Gabriel Ringlet va activer la réflexion d’une vraie vie intérieure source d’autant d’humanisme que de discernement.
Réflexion des plus salutaires au demeurant. Car cette attitude d’un croyant trop zélé qui n’hésite pas à sacrifier des mécréants au nom d’un Dieu de pouvoir et de vengeance n’est pas propre à l’époque du roi Achab au IX° siècle avant notre ère. Elle se décline aujourd’hui encore dans l’ensemble des religions.
Pour mieux nous faire prendre conscience de la vraie dimension d’un Éveilleur tel qu’il qualifie Élie, l’auteur nous en restitue d’abord sa raison d’être. « Un prophète », explique-t-il :
N’est pas un devin qui manipule le destin des hommes, c’est quelqu’un d’ancré dans le présent, d’embarqué dans l’histoire de l’humanité. Portant sur elle un regard plus pénétrant, il tente de découvrir ce qui se cache au-delà des apparences, il fait naître le poème que chacun porte en soi.
C’est ainsi que le décrivent les Écritures via les parcours du jeune Moïse, du berger Gédéon et de la veuve de Sarepta, mais cela peut aussi bien se décliner de nos jours où « bien d’êtres lucides ouvrent des chemins nouveaux.
S’il fallait donner des noms, Gabriel Ringlet cite Magda Hollander-Lafon, rescapée d’Auschwitz qui, à quatre-vingt-treize ans, « encourageait les jeunes à rencontrer le meilleur de ce qui les habite », et Edgar Morin, « portant un regard exceptionnel sur l’actualité du haut de ses cent ans. »
Deux exemples auxquels pourraient s’agréger bien d’autres comme l’Abbé Pierre, Jean Moulin ou la philosophe Simone Weil. Des prophètes de notre temps qui, à l’image de leurs aînés ont su percevoir la grâce dans de toutes petites choses. Car « il n’est pas si facile de croire en ce Dieu du peu », commente Gabriel Ringlet, « en un Dieu qui n’est peut-être pas là où je croyais le trouver ».
Et viennent immanquablement à l’esprit ces fameux versets du premier livre des Rois (1. 19-11) que l’auteur résume en ce merveilleux poème :
Et après le feu…
Un son doux et subtil
Une voix, un silence subtil
Le bruit d’une brise légère
Un bruit de fin silence
Le bruissement d’un souffle ténu
Le bruissement d’un subtil murmure
Le murmure d’un silence qui s’évanouit.
Des paroles de feu qui vont prendre un sens nouveau et se concrétiser plus encore lorsque ce dernier les reliera à son dernier filleul, dans des pages d’une indicible tendresse.
« E-lie, deux voyelles si douces qu’elles font s’interroger le vieil homme au plus profond de l’âme. Que viens-tu chercher en moi, de si rare et de si unique ? Quel voile viens-tu soulever ? Quelle fragilité viens-tu interroger ? De nous deux, qui est le plus petit ? N’est-ce pas toi qui me portes depuis le commencement ? »
Une bien belle méditation, assurément, que ce récit qui à travers le même patronyme d’un prophète et d’un petit enfant, jette d’un souffle ténu, le meilleur pont entre les générations.
Ringlet, Gabriel, « Va où ton cœur te mène », Albin Michel, « Spiritualités », 01/09/2021, 1 vol. (152 p.), 18€.
Michel BOLASSELL
articles@marenostrum.pm
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