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La trahison des élites allemandes : essai sur le rôle de la bourgeoisie culturelle : 1770-1945 – Christian Baechler

Lorsque, le 25 août 1914, les Allemands incendièrent la bibliothèque de Louvain, contenant plus de 230000 ouvrages rares, ils marquèrent à la peinture rouge sur un pan de mur calciné : « Ici finit la Kultur ! « 
Dès la première ligne de ce livre, les questions sont posées : comment et pourquoi une élite cultivée a-t-elle abdiqué face au nazisme ? Pour y répondre, il fallait un spécialiste, un chercheur infatigable sur la société allemande, auteur de nombreux ouvrages reconnus sur ce sujet sensible. Cet homme, c’est Christian Baechler.
Pour nous convaincre de son propos, l’auteur nous renvoie dans un passé sombre, là où les terres de langue allemande faisaient piètre figure face à des voisins français ou italiens qui revendiquaient, à juste titre, des connaissances littéraires, artistiques et philosophiques qui rayonnaient à travers l’Europe.
C’est au début du 18e siècle qu’un microcosme de gens éduqués va promouvoir dans les grandes villes le phénomène du « Bildung » ou bourgeoisie culturelle. Autour de notables intellectuels ou propriétaires terriens, dirigés le plus souvent par des pasteurs luthériens, va se mettre en place une société, coupée volontairement du reste des habitants, visant à favoriser leurs propres intérêts par le biais de la culture.
Ainsi vont éclore sur tout le territoire germanique des penseurs, musiciens et autres artistes qui, au fur et à mesure de leur importance et de la liaison naissante entre les régions, vont finir par s’imposer comme une entité incontournable dans la société tudesque. Afin de protéger leur savoir-vivre, les « Bildung » vont s’insérer doucement mais sûrement dans les arcanes du pouvoir financier puis politique, non seulement afin de se rendre indispensables mais également, beaucoup plus sournoisement, pour placer leurs pions dans la hiérarchie de la noblesse, des universités et de l’armée. Pour ce faire, ils n’hésiteront pas à accueillir dans leurs rangs des notables catholiques ou juifs.
Arrivées à leurs fins, trop infatués par leur propre réussite, ces élites ne vont pas voir le vent tourner, suite à l’éclosion d’une forte industrialisation qui n’a plus besoin d’eux et d’une Allemagne unifiée qui s’ouvre vers l’Europe et le monde.
Ce gratin, jaloux de ses prérogatives et des ficelles qu’il tire en sous-main va alors tenter de survivre en se jetant à corps perdu vers un nationalisme outrancier dès la fin du 19e siècle car, ne nous leurrons pas, les « Bildung » ont abdiqué leurs soi-disant bonnes manières bien avant le nazisme. Le déclenchement de la Grande Guerre va leur donner les moyens de percer à jour leur nouvel axe de vie. Complices des atrocités culturelles commises par la soldatesque teutonne, les savants, les artistes, les intellectuels de tous bords vont cautionner, avec une rare mauvaise foi, tous les crimes commis par leurs compatriotes.
Au cours de l’immédiate après-guerre, érigeant en dogme la « fake news » qui consiste à mettre en avant le fait que l’Allemagne a été victime du « coup de poignard dans le dos », ces élites – mais peut-on désormais les nommer ainsi – ont cru pouvoir renaître de leurs cendres nauséabondes en ouvrant les bras aux hommes qu’elles exécraient le plus : Hitler et ses complices.
Craignant par-dessus tout le communisme et sa révolution permanente, synonyme de déclin, la bourgeoisie culturelle s’est définitivement trahie.
C’est dans cet ouvrage, fouillé à l’extrême et d’une clarté aveuglante, que le lecteur trouvera la réponse à la question posée.

Renaud MARTINEZ
articles@marenostrum.pm

Baechler, Christian, « La trahison des élites allemandes : essai sur le rôle de la bourgeoisie culturelle : 1770-1945 », Passés composés, 25/08/2021, 1 vol. (646 p.), 27€.

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Une lecture qui rappelle que la vérité perd toujours contre le désir d’illusion.

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