D’un point de vue européen, l’histoire d’Haïti commence par l’arrivée en octobre 1492 de l’équipage de Christophe Colomb, pour le compte des Roi et Reine « très catholiques » espagnols. Du point de vue des Autochtones, l’histoire est plus tragique : réduits en esclavage pour travailler dans les mines d’or, massacrés s’ils refusent de se soumettre, ravagés par les épidémies européennes, leur population décroît rapidement. Dès lors, l’histoire, tout aussi sordide, de la traite atlantique d’esclaves africains commence. Mais les colons espagnols délaissent l’ouest de l’île moins aurifère. Cette partie est peu à peu occupée par les Français au XVIIe siècle, et prend le nom de Saint-Domingue. Ces nouveaux colons emploient les esclaves dans les cultures de tabac, d’indigo puis de cannes à sucre, sous l’impulsion de Jean-Baptiste Colbert. L’histoire bascule à nouveau avec la Révolution française. Les esclaves de l’île se révoltent contre le colonisateur, réclament l’abolition de l’esclavage, qu’ils obtiennent provisoirement en 1793. En 1804, ils déclarent l’indépendance du premier pays issu d’une révolte d’esclaves, qui prend alors le nom d’Haïti, ancien nom taïno de l’île avant la colonisation européenne.
En 1928, Jean Price-Mars (1876-1969), médecin, ethnographe, mais aussi homme d’État haïtien, publie « Ainsi parla l’oncle ». Cet essai d’ethnographie est considéré comme le premier manifeste de la condition noire. Il a en effet influencé le mouvement de la Négritude et d’après l’auteure guadeloupéenne Maryse Condé : » il illumine de manière magistrale les efforts que nos pères ont dû accomplir pour entrer (et nous après eux) dans le cercle interdit de l’humanité. » Pour Aimé Césaire, la Négritude est un « rejet », celui « d’une certaine image du Noir paisible, incapable de construire une civilisation. » Or, dans l’entre-deux-guerres, les métropoles véhiculent encore ce mythe, afin d’asseoir leur domination, alors même que des mouvements intellectuels et politiques commencent à remettre en cause le système colonial. Dans « Ainsi parla l’oncle », Jean Price-Mars affirme que les Haïtiens sont nés dans des conditions historiques déterminées, celles de la « transplantation d’une race humaine sur un sol étranger dans les pires conditions biologiques », avec un double héritage culturel : français et africain. L’auteur s’appuie sur un corpus bibliographique dense et varié prenant pour thèmes les religions, l’histoire, la géographie. Ainsi, au fil des pages, nous apprenons que les contes et légendes de l’île peuvent emprunter à la tradition orale bretonne ou aux fables de La Fontaine, elles-mêmes inspirées d’Ésope, de la Méditerranée orientale, et donc d’un carrefour de civilisations y compris Africaines. Le sentiment religieux est aussi hybride sur l’île, syncrétisme entre croyances ancestrales et christianisme. Les Haïtiens sont majoritairement catholiques du fait de la conversion par le colonisateur des esclaves nouvellement débarqués sur l’île. Le « Code Noir » (1685) qui réglemente l’esclavage, précise d’ailleurs qu’ils doivent être baptisés « dans la huitaine au plus tard », ce qui renvoie à la violence de l’évangélisation. Mais on trouve aussi des pratiques du vaudou, religion animiste, qui tire ses origines du royaume du Dahomey (sud-ouest de l’actuel Bénin).
Avec « Ainsi parla l’oncle », le lecteur détient donc les clefs pour comprendre les origines du folklore haïtien.
Marine MOULINS
contact@marenostrum.pm
Price-Mars, Jean, « Ainsi parla l’oncle », MÉMOIRE D’ENCRIER, Essai, 07/01/2021, 1vol. 300p, 20,00€
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