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Angélique Boulay explore l’héritage spirituel d’Etty Hillesum

Angélique Boulay, Mon chemin avec Etty Hillesum. Ed. Salvator, 27/03/20025, 220 pages. 19 €

Dans Mon chemin avec Etty Hillesum, Angélique Boulay revient sur son expérience personnelle : pendant de nombreuses années elle a incarné sur scène Etty Hillesum. Elle a elle-même adapté le spectacle à partir des écrits d’Etty. Le lien avec le spectacle, le jeu, le corps, le regard sur l’autre. Ce livre est présenté comme un récit initiatique : il décrit comment jouer ce rôle l’a profondément transformée, la guidant vers une quête intérieure, une spiritualité renouvelée, et pour Angélique Boulay un enracinement dans la foi chrétienne.  À travers des épisodes personnels, des rencontres, elle raconte comment ce voyage intérieur, tout en s’inspirant de la vie d’Etty, a influencé non seulement son art, mais sa vie quotidienne, sa relation à la souffrance, à la foi, et à l’espérance. L’ouvrage adopte une structure narrative et chronologique, sans chapitres strictement définis mais articulée en séquences thématiques.

C’est un récit intime, personnel, spirituel et incarné

Le fait que l’auteure soit elle-même comédienne ayant interprété Etty Hillesum offre une valeur ajoutée et jusqu’alors peu abordée et travaillée dans l’édition au sujet de l’œuvre d’Etty. Ce n’est ni une biographie académique ni un essai théologique, mais un témoignage vécu, qui mêle art, spiritualité, vulnérabilité. En s’appuyant sur la figure d’Etty, qui vit « dans un temps de guerre », elle relie l’histoire tragique à des questionnements actuels sur la foi, le sens, la résilience, la souffrance. Le livre offre une recherche personnelle, ponctuée de doutes, d’épreuves, de remises en question. Elle ne prétend pas à l’objectivité : l’expérience de l’autrice est unique. Cela donne un texte très incarné, qui fait résonner l’humanité, l’écoute de soi, la spiritualité et la douceur radicale d’Hillesum.

Le cheminement vers le christianisme est central. Dans ce livre Angélique Boulay raconte comment l’interprétation théâtrale d’Etty Hillesum a progressivement façonné sa vie intérieure. De rôle en spectacle, elle suit une transformation intime qui croise questionnement existentiel, quête spirituelle et apprentissage de soi. En s’appuyant sur cette figure aujourd’hui emblématique déjà fortement idéalisée comme « martyr », ou « témoin spirituel », le récit pourrait être perçu comme une forme d’idéalisation. Jusqu’où est-il possible d’interpréter un rôle comme celui-ci en « s’appropriant » l’histoire d’une victime d’atrocités ? Que devient la mémoire historique quand elle est « reprise » dans un chemin personnel ? Angélique Boulay est comédienne et metteuse en scène. Durant plusieurs années, elle a incarné Etty Hillesum sur scène dans une adaptation de ses écrits. Ce rôle occupe une place fondatrice dans sa trajectoire artistique et spirituelle : il devient le point de départ d’un chemin intérieur, que ce livre tente de raconter et d’éclairer. De son premier contact avec les textes d’Etty à l’expérience de la scène, L’autrice raconte un long cheminement fait de : travail artistique, découvertes existentielles, rencontres décisives, maturation spirituelle. Le récit explore comment la parole d’Etty s’est inscrite dans la vie de la comédienne, comment elle l’a questionnée, nourrie et accompagnée dans ses propres épreuves.

Le projet d’Angélique Boulay est créatif et spirituel

Elle souhaite « faire revivre » Etty non pas comme un monument, mais comme un « souffle », une lumière. De là naît l’exigence d’introspecter et de s’interroger. Cela rejoint la démarche spirituelle d’Etty Hillesum, qui, dans ses journaux, ne sépare pas l’intériorité de la réalité, la souffrance de la quête de sens, la fragilité de l’engagement intime. Dès les premières pages, l’écriture d’Angélique Boulay se caractérise par une forme de progression fluide, proche du journal mais sans en emprunter la structure fragmentaire. C’est plutôt une narration continue, construite comme un cheminement où chaque évocation du passé nourrit un pas supplémentaire dans le présent de l’auteure. Le récit apparaît ainsi comme un long mouvement, un passage invitant à une transformation progressive.

Angélique Boulay parle depuis le corps (le sien), et montre comment ce corps se transforme au contact du texte d’Etty. L’écriture prend la forme d’un dialogue silencieux où la parole d’Hillesum résonne dans la vie de la comédienne. Le lecteur n’assiste pas à la reconstitution d’un spectacle : il suit l’expérience de l’actrice dans son travail de création, ses répétitions, ses doutes, ses découvertes. Le théâtre devient alors un laboratoire existentiel, un miroir, une chambre d’écho. La scène ne sépare pas l’art de la vie mais les fond dans une même quête. Ce n’est pas un essai historique ni une biographie d’Etty. C’est l’histoire d’une rencontre intérieure, une relation vivante entre une comédienne contemporaine et la voix d’une femme marquée par la Shoah. Dans la recherche d’Angélique Boulay on retrouve d’une certaine façon la pensée d’Emmanuel Levinas au sujet de « l’éthique de la rencontre ». Ce livre est présenté comme une écriture de la traversée, où la spiritualité surgit des expériences, des rencontres, de l’art, du doute.

Chez Etty Hillesum, la quête intérieure est centrale. Elle cherche à mettre de l’ordre dans son chaos intérieur, créer un espace de paix malgré la guerre, accéder à une présence plus vraie à elle-même. Elle écrit : « Il faut d’abord se changer soi-même pour pouvoir changer quelque chose autour de soi. » Etty parle d’un Dieu « logé tout au fond de moi » qu’il faut aider à vivre. Sa relation à Dieu est humble, quotidienne, existentielle. Elle s’adresse à un Dieu universel, presque mystique. Angélique Boulay part de l’expérience d’Etty pour approfondir sa propre foi, qui s’oriente vers le christianisme. Pour elle, Etty est une médiatrice spirituelle.

Chez la jeune hollandaise, la liberté intérieure est une conquête essentielle. Elle doit rester libre malgré l’oppression, malgré les forces externes. Etty écrit : « Ils peuvent tout me prendre, sauf ce que je porte en moi. ». Pour elle, la liberté est un acte de résistance. Il n’en est pas tout à fait de même pour Angélique Boulay pour qui la liberté intérieure est le fruit du travail artistique et spirituel. La liberté est un acte de fidélité à une vérité intérieure. Incarner Etty lui révèle : la liberté d’être soi, la liberté de consentir, la liberté d’aimer. L’écriture pour la comédienne n’est pas première : c’est le théâtre qui joue ce rôle. Le corps, la voix, la scène deviennent outils de transformation.

Le théâtre comme lieu de révélation

Comment un rôle interprété au théâtre peut bouleverser l’existence d’une personne. L’auteure montre que l’art devient une expérience de vérité. Elle raconte un chemin de foi, marqué par l’écoute, le silence, la prière et l’ouverture à une intériorité profonde. La figure d’Etty agit comme un guide, mais sans dogmatisme. Le livre n’est pas un traité historique, mais il interroge la mémoire de la Shoah à travers la figure singulière d’Etty Hillesum, dont la parole reste d’une actualité brûlante.

Le récit montre comment le travail artistique peut devenir un espace de compréhension de soi : incarner Etty, c’est apprendre à écouter, à accueillir, à se traverser. L’expérience artistique devient cheminement intérieur, et c’est cette porosité entre scène et vie qui donne sa couleur au récit. L’expérience corporelle du jeu théâtral affleure souvent. Pour cela, le livre intéressera les artistes, comédiens ou passionnés de théâtre.Bas du formulaire D’un point de vue littéraire, « Mon chemin avec Etty Hillesum » n’est pas un livre spectaculaire. Il est plutôt assez dépouillé, concentré, tout en intériorité. Sa force réside dans sa capacité à donner forme à un chemin personnel, inscrire une transformation intime dans une tradition spirituelle, faire résonner la voix d’Etty Hillesum dans une langue contemporaine simple et sensible, montrer comment l’art peut devenir littérature du dedans. C’est une œuvre qui cultive la justesse, et la profondeur plus que l’analyse, tout en s’affirmant comme un hommage littéraire à la présence d’Etty. Un ouvrage d’écoute et de présence, qui cultive la nuance, la gratitude et la lumière. Le livre montre comment la mémoire d’une figure de la Shoah continue d’agir dans le présent. Elle s’efforce de « garder ouverte une petite place pour la compassion ».

Etty Hillesum inspire une éthique de la présence, que la comédienne tente de traduire dans sa vie quotidienne

Cette jeune femme n’a pas fini de nous surprendre. Elle rejoint Anne Franck, Hélène Berr, et beaucoup d’autres femmes de cette période. Peu à peu chacune d’entre elles nous dévoile toujours plus sur elle-même, sur cette terrible période, sur Dieu ; et en définitive sur nous-mêmes.

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Rarement un roman ne donne l’impression d’entrer à la fois dans une maison, un village et une mémoire comme Kaïssa, chronique d’une absence.

Dans les hauteurs de Kabylie, on suit Kaïssa, enfant puis femme, qui grandit avec un père parti  en France et une mère tisseuse dont le métier devient le vrai cœur battant de la maison. Autour d’elles, un village entier : les voix des femmes, les histoires murmurées, les départs sans retour, la rumeur politique qui gronde en sourdine. L’autrice tisse magistralement l’intime et le collectif, la douleur de l’absence et la force de celles qui restent, jusqu’à faire de l’écriture elle-même un geste de survie et de transmission.

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