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Selon la phrase bien connue d’Henri Cartier-Bresson, « la photographie est une réponse immédiate à une interrogation perpétuelle ». Le beau livre de Yann Datessen, lauréat de la bourse du talent 2021, tente à sa manière d’approcher le mystère Rimbaud. Ce qui reste du poète en voyage ? Rien, sinon son souffle et son ombre. Il s’est trouvé à Bruxelles et Marseille, à Harar et Ostende, à Chypre et à Djibouti. Mais il n’y a plus en ces lieux que le souvenir de sa présence furtive et impatiente. Il y a quelques mois, Yann Datessen avait exposé ces photographies à la fois dans les Ardennes, à Charleville, ainsi qu’à la gare de l’Est. Comme une présence symbolique et furtive qui rendait hommage au poète disparu.

Le point de départ de cette aventure photographique se trouve dans son souhait de faire le portrait d’adolescents de tous horizons – pour tenter de retrouver, à travers ces regards d’Ardenne, Arthur Rimbaud. Mais celui-ci, toujours fuyant, l’a poussé lui aussi à partir en Europe et hors du continent. La route pour le mieux comprendre.

Dans cet ouvrage, les photographies de Yann Datessen sont comme des palimpsestes qui tentent subtilement de retrouver la figure du poète évadé. Sa démarche artistique, a consisté à suivre le parcours de ce marcheur perpétuel, depuis Charleville-Mézières jusqu’à Java, et de saisir, par des figures et paysages d’aujourd’hui, un début de réponse à celui qui s’est définitivement en allé.
Yann Datessen garde de ces pérégrinations parfois dangereuses « l’amour des ombres, des ombres qui combattent le soleil, le soleil et ses filles, les images. L’éternité inversée en somme, sinon quoi d’autre ? »

Il faut feuilleter ce livre qui veut exprimer cette quête toujours teintée à la fois d’humanisme et de révolte : l’on tombe ainsi sur des figures de jeunesse, des post-adolescents au regard droit et parfois chargé de désillusions. Car Yann Datessen raconte aussi le désarroi de ces périphéries où la mélancolie et parfois la colère s’expriment au gré des champs nus et des ciels trop vastes. Ainsi, la photographie n° 18, portrait d’une jeune femme en madone, aux yeux clairs et pourtant un peu tristes, qui attend son avenir à l’école de la deuxième chance, ou encore la n° 65 qui représente un jeune homme posant avec assurance dans une forêt où il pleut des rayons blancs du soleil : fier de ses origines, fier de ses lisières.

Il y a bien sûr les visages d’ébène et d’ailleurs : Asma, le gardien du fleuve Awash en Éthiopie, gardant de ses yeux vitreux ce qui reste de nos âmes (n° 59), ou bien encore ce garçon de l’île de Java, que l’on voit de dos et qui va vers son tragique destin (n° 48) : Yann Datessen raconte ce moment poignant : « D’une attitude altière, un jeune garçon surveillait les allées et les venues du port de Semarang comme si l’ensemble de la flotte lui appartenait. Me rapprochant pour le mettre dans le cadre, sans crier gare, avant même que je fusse suffisamment près pour lui parler, il précipita ce qu’il était venu faire : se jeter à l’eau. Cette image est la dernière de lui vivant ».

Des paysages complètent ce parcours. Ils disent à leur manière ce qu’Arthur Rimbaud a pu fuir désespérément : l’implacable canicule de l’Égypte (n° 49), la colère froide des dieux dans les Alpes suisses (n° 44), l’incomparable miroir de la mer du Nord (n° 41). C’est toujours très beau.

Les vues d’intérieur, au Harar (n° 38, n° 55, n° 61), pourraient saisir l’intime du poète devenu négociant, ainsi d’ailleurs que celles qui décrivent l’abandon progressif de l’Europe aux anciens parapets (n° 29 à 34).

Ce livre est, comme le Rimbaud africain, sans mots superflus. Par l’élégance de ses vues, il suffit à comprendre tout à la fois le désir d’évasion et la disparition. Et par la présence de nombreux témoins qui nous regardent – hommes et femmes de divers continents, gardiens, soldats – est révélée toute une humanité au bord du précipice. Des survivants dans l’ombre portée de l’homme toujours en partance.

Dans la légende de la dernière photographie, Yann Datessen dédie son travail au gosse qu’il était, ainsi qu’évidemment à Arthur, « qui s’en fout comme de l’an quarante ». Une manière pour lui de prolonger sa réflexion sur les effets de la mémoire et de la présence/absence d’un mythe décidément immortel.

Datessen, Yann, Arthur Rimbaud, Éditions Loco, 13/05/2022, 1 vol. (95 p.), 35€

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