0
100

« Au soir d’Alexandrie » : entre nostalgie et critique sociale

Alaa El Aswany, Au soir d’Alexandrie, traduit de l’arabe par Gilles Gauthier, Actes Sud, 04/09/2024, 374 pages, 23,50 €

Depuis son célèbre Immeuble Yacoubian (Actes Sud, 2005) Alaa El Aswany a fait des romans polyphoniques sa marque de fabrique. L’écrivain aime entremêler les destins de dizaines de personnages, illustrant de cette manière la grande diversité de la société égyptienne dans toutes ses strates sociales. Dans son nouveau livre, il prend pour décor la ville d’Alexandrie au milieu des années soixante, renouant avec la veine historique qui avait fait le succès de son Automobile Club d’Égypte (Acte Sud, 2014) qui dressait le tableau crépusculaire des dernières années de la monarchie du roi Farouk.

Les habitués du restaurant Arthinos

Le point de convergence des protagonistes est le restaurant Arthinos où une bande d’amis se donne régulièrement rendez-vous, le soir, après la fermeture pour discuter et boire en refaisant le monde. Ils se sont surnommés le Caucus : il y Chantal, la Française, propriétaire de la librairie Balzac, le débonnaire Tony Kazzan qui a construit à Alexandrie une florissante usine de chocolat, le brillant avocat Abbas el-Qosi, un artiste idéaliste du nom de Anas et bien sûr la belle Lyda Arthinos, leur hôtesse, qui a repris le restaurant à la mort de son père. Tous ces personnages manifestent un attachement viscéral à la ville, à son cosmopolitisme : « Cette ville te prend dans ses bras sans égard pour ta langue, ta religion ou ton origine. Où trouver ailleurs une ville où l’on peut se faire couper les cheveux par un coiffeur grec, déjeuner dans un restaurant appartenant à un couple d’Italiens, mettre ses enfants dans une école française puis, si l’on a un problème, prendre pour se défendre un avocat arménien ? »

L’ombre d’une dictature

Il n’en demeure pas moins que les personnages s’inquiètent de l’évolution de la politique intérieure depuis que Gamal Abdel Nasser a pris les rênes de l’Égypte à la suite du coup d’Etat de 1952. Le Président bénéficie d’une immense popularité dans le pays et dans l’ensemble du monde arabe : « Les Égyptiens ont foi en Abdel Nasser, ils l’adorent exactement comme leurs ancêtres de l’époque pharaonique adoraient le souverain divin. » Au nom du socialisme, Nasser promet la révolution et des lendemains qui chantent mais sous les discours, la réalité est beaucoup moins séduisante. Comment ne pas voir en Nasser un dictateur en puissance qui, grâce à des groupes secrets telles que l’Organisation de l’avant-garde cherche à contrôler l’opinion et à museler toute forme de dissidence ? À travers le personnage de Galil, comptable à l’usine de Tony Kazzan, le lecteur découvre l’envers du décor et les mécanismes insidieux d’un endoctrinement. Alaa el Aswany avait déjà brillamment analysé le phénomène de l’autoritarisme politique dans Le Syndrome de la dictature (Actes Sud, 2020). Il en livre ici une mise en scène romanesque d’une redoutable efficacité.

La principale qualité d’Au soir d’Alexandrie est l’attention accordée à chacun des personnages, même ceux que l’on ne croise que brièvement au détour d’un chapitre. Avec un œil de portraitiste autant que de sociologue, Alaa el Aswany détaille leur parcours de vie, leurs rêves et leurs désillusions. Sans doute faut-il voir dans le personnage d’Anas, qui aime dessiner des inconnus rencontrés dans les cafés, un double malicieux de l’auteur. Malgré parfois un certain didactisme dans les dialogues, le roman offre un divertissement de qualité, qui nous emporte dans le bouillonnement d’une ville et permet d’en apprendre plus sur la face obscure du nassérisme.

Soutenez notre cause - Soutenez notre cause - Soutenez notre cause

Pour que vive la critique littéraire indépendante.

Nos articles vous inspirent ou vous éclairent ? C’est notre mission quotidienne. Mare Nostrum est un média associatif qui a fait un choix radical : un accès entièrement libre, sans paywall, et sans aucune publicité. Nous préservons un espace où la culture reste accessible à tous.

Cette liberté a un coût. Nous ne dépendons ni de revenus publicitaires ni de grands mécènes :
nous ne dépendons que de vous.

Pour continuer à vous offrir des analyses de qualité, votre soutien est crucial. Il n’y a pas de petit don : même une contribution modeste – l’équivalent d’un livre de poche – est l’assurance de notre avenir.

Rarement un roman ne donne l’impression d’entrer à la fois dans une maison, un village et une mémoire comme Kaïssa, chronique d’une absence.

Dans les hauteurs de Kabylie, on suit Kaïssa, enfant puis femme, qui grandit avec un père parti  en France et une mère tisseuse dont le métier devient le vrai cœur battant de la maison. Autour d’elles, un village entier : les voix des femmes, les histoires murmurées, les départs sans retour, la rumeur politique qui gronde en sourdine. L’autrice tisse magistralement l’intime et le collectif, la douleur de l’absence et la force de celles qui restent, jusqu’à faire de l’écriture elle-même un geste de survie et de transmission.

Si vous cherchez un roman qui vous serre le cœur, vous fait voir autrement l’exil, la filiation et la parole des femmes, ne passez pas à côté de Kaïssa.

À LA UNE - À LA UNE - À LA UNE - À LA UNE - À LA UNE - À LA UNE - À LA UNE - À LA UNE
autres critiques
Days :
Hours :
Minutes :
Seconds