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En ce premier quart de XXIe siècle, la littérature italienne affiche une insolente vitalité : succès populaires, succès critiques, de nombreux romans italiens rencontrent le succès dans et hors des limites de la Botte. Parmi les heureux auteurs de ces romans remarqués, la part belle est faite aux autrices qui se taillent une place de choix dans le panthéon de l’édition italienne : Elena Ferrante et ses best-sellers mondiaux bien sûr, mais aussi Giulia Caminito, formidable lauréate l’an passé du premier Prix Mare Nostrum pour Un jour viendra, sont quelques-unes des figures de proue de cette consœurie remarquable. En outre, si chacune de ces autrices peut légitimement revendiquer un style, un univers qui lui sont propres, d’évidents points communs se font jour lorsque l’on tourne les pages des différents romans de chacune : histoires de vies ancrées sur de longues durées voire sur plusieurs générations, décors italiens très éloignés de la dolce vita fellinienne et profondément marqués par la pauvreté, place centrale des femmes, héroïques héroïnes d’un quotidien précaire et misérable, etc.

Rosa Ventrella s’inscrit avec talent dans cette lignée-là, elle qui, dans Béni soit le père, nous raconte l’histoire de Rosa ou plutôt les histoires de Rosa. Car il y a plusieurs femmes en Rosa, à différentes époques de sa vie et au gré des états émotionnels qui la ballottent et la transforment : Rosa est d’abord, avant tout et pour toujours, la petite fille pauvre de Bari, plus précisément du quartier de San Nicola. Elle est de ce quartier misérable, violent, étriqué autour de ruelles étroites où les vies de misère s’entremêlent sous les regards inquisiteurs et les mots destructeurs de redoutables commères dévotes, vénérant ostensiblement la madone locale mais ne rechignant pas à faire appel aux guérisseuses et aux sorcières du cru. Rosa grandit à deux pas de la mer et de ses rochers refuge mais ce qui caractérise son enfance c’est la violence qui s’invite jusque dans sa misérable maison sous les traits de son père. « Gueule d’ange » est beau comme un dieu, aussi fier qu’il est pauvre, aussi exigeant et odieux vis-à-vis de sa femme et de ses enfants qu’il est peu regardant sur sa propre moralité et sur le malheur qu’il répand autour de lui, particulièrement lorsque le vin a levé ses ultimes inhibitions. Rosa, Rose ou Rosé selon les prénoms qu’elle se donne à différentes époques, n’a d’autre choix que de se taire et de se réfugier dans les jupes de sa mère aimante ou dans les jupons sulfureux d’une Marylin fille de joie qui lui donne à voir un autre monde et l’éveille à la sensualité. À l’adolescence, Rosa rencontre Marco, premier amour lui apparaissant comme un recours de douceur et de bienveillance mais qui s’avérera être, à l’instar de son père, un redoutable tyran domestique tout juste à bon à reproduire le schéma familial. Condamnée à revivre l’enfer domestique, Rosa devra puiser au plus profond d’elle-même pour sortir de cette spirale destructrice, étayée en cela par l’amour et l’exemplarité de sa mère courage. Quand cette dernière sera frappée par la maladie, c’est chargée du fardeau de sa vie mais forte des combats menés que Rosa s’en ira croiser une dernière fois le regard de son père et tenter de trouver la force de lui pardonner.

Béni soit le père est un roman qui parle de ces enfances dont on ne guérit jamais vraiment, du long chemin qui mène à la résilience et au pardon, de la force vitale qui naît et croît dans l’adversité et permet, in fine, de trouver le chemin qui mène à soi. Acérée au pavé rude du vieux Bari, trempée à l’encre sincère des émotions véritables, la plume de Rosa Ventrella sait trouver les mots qui portent pour nous offrir un roman qui nous touche et nous interpelle.

Ventrella, Rosa, Béni soit le père, Traduit de l’italien par Anaïs Bouteille-Bokobza, Éditions les Escales, Domaine étranger, 07/04/2022, 1 vol. (241 p.), 22€.

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