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Pajtim Statovci, Bolla, Les Argonautes, 03/02/2023, 1 vol. (246 p.), 22€.

Bolla, le roman de Pajtim Statovci débute en 1995, à Pristina, au Kosovo. Par ces simples date et lieux, se dessinent les éléments d’un contexte dramatique. Dans la poudrière balkanique, Serbes et Albanais s’apprêtent une nouvelle fois à en découdre dans des combats sanglants et mortifères qui, bientôt, entraîneront toute la région ainsi que les forces de l’OTAN.

Alors que la guerre s’annonce, Arsim et Milos vont vivre une histoire d’amour interdite, déchirante et qui va, à jamais, marquer leurs vies au fer rouge. Tout est prohibé dans cette relation, d’abord et avant tout, puisqu’Arsim et Milos sont deux hommes et que le premier nommé est marié et dans l’attente de l’arrivée de son premier enfant. Fruit d’un véritable coup de foudre, leur brûlante, éphémère et quasi onirique relation va se heurter de plein fouet à la réalité d’un pays déchiré : Arsim, l’albanais et Milos, le serbe, vivent leur amour dans le cocon feutré et protecteur d’un petit studio du centre-ville de Pristina, le premier rêvant d’écrire un roman et le second de devenir médecin. Les médias racontent chaque jour une réalité plus terrifiante, la tension croît entre les différentes nationalités qui peuplent le Kosovo tant et si bien que, bientôt, il n’y a plus aucune issue pour Arsim que de s’enfuir avec femme et enfant vers un pays voisin et d’abandonner Milos, le temps d’un adieu bâclé.
Dès lors, l’absence devient le sujet majeur du roman Bolla, déchirante, obsessionnelle, fracassant les corps, les cœurs et les âmes des deux amants qui ne parviennent à mutuellement s’oublier. On suit leur errance au travers du quotidien vide de sens d’un Arsim redevenu un père de famille aigri, violent et haï par ses enfants, ressassant pour lui-même ses regrets, ses questionnements et le manque de Milos : 

Je le pleure pendant des années ; son absence me cause une douleur sourde dans toute la région thoracique, de l’épouvante parfois, d’une certaine manière, j’ai peur de l’oublier, et je commence à soupçonner mon esprit de n’avoir fait que nous imaginer. Et s’il en avait été ainsi après tout, je me demande par moments, qu’il n’ait jamais été que ce ciel que j’avais bâti, Dieu au cœur de la forêt qui brûle.

La narration de son quotidien alterne avec les écrits sous forme de lettres que Milos écrit à destination de son amant mais sans jamais les lui faire parvenir : il y raconte à mots couverts sa vie durant la guerre, les soins qu’il y prodigue, les exactions auxquelles il se livre et la facilité avec laquelle l’homme bascule du rôle de simple quidam à celui de bourreau. La guerre est posée là, en toile de fond, pas en tant que sujet principal mais elle sous-tend tous les rapports, exacerbe toutes les rancœurs et, même une fois achevée, conditionne chaque aspect de la vie quotidienne. Sa fin ou, plus exactement, sa mise en parenthèse signifiera pour Arsim et Milos la possibilité de se revoir peut-être, dans une dernière partie de roman surprenante et magistrale.
Pajtim Statovci est un maître de la littérature finlandaise, unanimement reconnu sur la scène internationale où il a déjà collectionné de nombreux prix. Sa plume brillante, magnifiquement traduite en français par Claire Saint-Germain, est capable de traduire toutes les émotions, des plus viles aux plus belles, des plus intenses aux plus insignifiantes. La maestria avec laquelle il nous livre cette sublime histoire d’amour vouée à l’échec, la mettant en parallèle avec la légende albanaise du serpent démoniaque Bolla, est une nouvelle preuve du talent d’un auteur qui compte.

Image de Chroniqueur : Alain Llense

Chroniqueur : Alain Llense

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