Le Tourneur d’Ison, Claudine, Champollion : le dernier voyage, Le Cerf, 18/08/2022, 1 vol. (211 p.), 18€
Élaborer une trame romanesque à partir d’un vécu historique est un processus en plein essor dans la littérature contemporaine. En agrémentant le terreau originel d’une ambiance spécifique comme en élargissant la psychologie des personnages, ce genre d’écriture offre, en effet, plus d’attrait au lectorat qu’une stricte analyse de spécialistes.
C’est patent par exemple, lorsqu’il s’agit d’exprimer les convulsions du Proche-Orient, tels que l’attestent les ouvrages de Metin Arditi (Rachel et les siens) ou plus récemment d’Anaïs Llobet (Au café de la ville perdue), mais ça l’est tout autant avec le Champollion de Claudine le Tourneur d’Ison.
Certes, par les temps d’histoire précis qui lui sont rattachés, l’aventureux récit du célèbre découvreur demeure bien différent de ces sagas fictionnelles, mais son incarnation parfaitement maîtrisée n’en déploie pas moins l’intérêt. Il faut dire que l’auteure sait de quoi elle parle.
Journaliste et passionnée de voyages tout autant que d’égyptologie, elle a publié maints ouvrages alliant son goût de l’ailleurs au portrait d’éminentes célébrités.
Ainsi, a-t-elle alterné les récits de Chroniques égyptiennes ou de Voyages à travers vingt villes, avec la fiction indienne d’Hira Mandi et la biographie de savants chercheurs tels que Mariette Pacha et tout récemment de Christiane Desroches Noblecourt.
C’est dans cette veine d’attraction orientale et d’aventure scientifique que s’inscrit ce Champollion. Un récit fidèle de ce décrypteur des hiéroglyphes, opportunément construit sous forme de roman, comme souligné ci-dessus, dont l’ajout du sous-titre « Le dernier voyage » est une précision importante. Car, c’est au déroulé d’une épopée strictement limitée aux années 1928-1929, qu’aborde l’ouvrage.
Certes, çà et là, des références se rattachent à quelques épisodes de l’immense savant français mais il eut peut-être été utile pour les néophytes de revenir un peu plus avant. À ses dispositions hors du commun notamment, qui dès l’âge de quinze ans lui firent domestiquer l’arabe, l’araméen ou le persan… Et concomitamment poursuivre des études au Collège de France.
Un parcours modèle et d’autant plus méritoire que l’intéressé, issu d’un père, modeste libraire, et d’une mère analphabète, a grandi à Figeac, une petite ville du Quercy, alors très éloignée de l’effervescence du Siècle des lumières. Par quel mystère, ce boulimique de connaissances est-il passé du déchiffrement d’une grammaire chinoise que lui avait offert son frère au décodage des hiéroglyphes reste secret.
Sa réussite en fait, tient d’une étonnante synthèse entre l’étude scientifique et une sensibilité artistique qui lui permettra d’établir un lien décisif entre l’art et l’écriture. Ce que Claudine le Tourneur d’Ison résumera éloquemment dans le prologue en évoquant « ces capacités d’analyse multifactorielle lui permettant d’avancer vers son objectif. » Grâce à l’apprentissage de la langue copte et des travaux entrepris par le physicien anglais Thomas Young sur la pierre de Rosette, Jean-François Champollion, présentera devant l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres de Paris son mémoire sur l’écriture égyptienne dévoilant les mystères des hiéroglyphes qui lui vaudront l’admiration de tous les scientifiques de l’époque. Une prouesse non sans difficultés comme il l’expliquera.
Que l’écriture hiéroglyphique est un système complexe, une écriture tout à la fois symbolique, figurative et phonétique dans un même texte, une même phrase, je dirais même dans un même mot…
Cela en septembre 1822, six ans avant qu’à l’âge de trente-huit ans, lui qui n’a jamais foulé la terre des Pharaons, ne réalise son rêve en partant à la tête d’une expédition scientifique franco-toscane en Égypte. C’est à partir de l’embarquement à bord de l’Eglé en rade de Toulon que l’auteure nous retrace sa fabuleuse aventure. Avec des débuts aussi hospitaliers qu’encourageants qu’il a hâte de précipiter.
Malgré les rencontres plaisantes et les richesses qu’il découvre jour après jour en tournoyant dans les venelles du Caire, c’est un homme pressé, ravi d’élargir les traces d’un peuple d’hommes mais qui bout d’un feu impatient.
De Sakkara au plateau de Gizeh dans ce maelstrom des journées alternant chaleur et froid glacial où Champollion diabétique a conscience de sacrifier un peu sa santé, les surprises vont de pair avec les déconvenues. Comme lors de la découverte du papyrus « Canon royal » rédigé en domotique dans un état désespérant, qu’il considère « comme le plus grand désappointement de sa vie littéraire. » Sa ténacité sera cependant récompensée.
Le 20 novembre 1828, « l’arrivée à Thèbes est comme un rite de passage vers une autre existence », relate Claudine le Tourneur d’Ison. « C’est là qu’il pénètre dans le saint des saints qui a cristallisé sa passion, où il est pris d’une véritable ivresse face à la magnificence du monde pharaonique. »
D’Assouan jusqu’à la première cataracte d’Abou Simbel, l’auteure va nous restituer les intenses émotions que Champollion va éprouver en dépit des divers tracas d’intendance ou de santé notamment, lors de la découverte du grand temple d’Isis, comme elle le souligne :
Comme une rage qu’il porte en lui face à ceux qui refusent l’antériorité de la civilisation égyptienne sur les textes bibliques, il défend avec toute sa pugnacité et son orgueil, être celui qui a sorti l’Égypte des ténèbres.
Ajouté aux diverses révélations et découvertes, un authentique périple initiatique qui nous entraîne au gré des trésors de l’Égypte ancienne sur les pas d’un grandissime savant.
Chroniqueur : Michel Bolassell
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