Agrégée de Normale Sup, un temps professeur de philosophie, puis manœuvre chez Alsthom avant de travailler pour Renault aux ateliers Billancourt – par conviction syndicale autant que par solidarité ouvrière – Simone Weil témoigne à vingt-sept ans, d’une vie sociale et intellectuelle bien remplie, lorsqu’elle s’engage, en août 1936, dans la guerre civile espagnole au sein des militants de la colonne Durutti.
Un engagement surprenant de la part de cette pacifiste, adepte du Front Populaire, qu’Adrien Bosc va nous faire revivre avec pertinence, à partir d’un minimum d’informations.
À peine quelques feuillets dans son « Journal », un petit nombre de lettres et la célèbre photo où on découvre l’héroïne sanglée dans une combinaison de mécano, le foulard rouge et noir anarchiste autour du cou, c’est bien peu, en effet, pour entreprendre le récit d’une telle croisade.
Ce qui explique sans doute, les raisons pour lesquelles ses divers biographes, Simone Pétrement, Laure Adler ou Christiane Rancé tout récemment, n’y aient consacré qu’une partie limitée.
S’il évoque le contexte de cette dramatique histoire espagnole, Adrien Bosc privilégie à bon escient le mode fictionnel pour restituer la singulière épopée de cette « pasionaria » française. À commencer par le côté presque dilettante de cette périlleuse aventure. « Ils traversaient des villages déserts, d’autres en liesse, à bord d’un Ford noire, le toit ouvert », écrit l’auteur pour planter le décor. En y ajoutant le sentiment qu’elle inspirait auprès des deux gars de l’usine qui l’accompagnaient. « Ridel et Carpentier débordaient d’affection pour Simone. Ils appréciaient cette façon qu’elle avait de regarder le monde, quelque chose de profond, tendre, sincère. »
On croirait entendre les commentaires que faisaient d’elle ses élèves de terminale lorsqu’elle était enseignante au Puy. Celle d’une professeure aimée de ses potaches comme elle l’était de ces bénévoles partis secourir la République espagnole formant « une même collusion de destins rassemblés en une communauté provisoire. Une présence auprès des plus humbles qui n’avait d’égal chez elle que celui de la pensée », commente Adrien Bosc.
« Écrire, penser, agir sont une seule et même chose », disait-elle, d’ailleurs, en fervente disciple d’Alain.
Roman d’une femme intrépide, qu’aucun engagement physique ne rebute, « Colonne » est tout autant le parcours d’une intellectuelle confrontée aux affres du conflit dont Georges Bernanos fut sans le savoir, le déclencheur.
Entre le partisan des Phalangistes à Majorque où l’auteur du « Journal d’un curé de campagne » s’était exilé et l’alliée des Républicains que fut Simone Weil, le fossé semblait pourtant infranchissable. C’était sans compter sur l’honnêteté et la grandeur d’âme de Bernanos qui dans « Les grands cimetières sous la lune » allait dénoncer la barbarie franquiste incompatible avec son univers chrétien.
Témoin de semblables exactions côté Républicains, notamment de l’assassinat d’un adolescent, Simone Weil s’indignera avec la même force de ces ignominies perpétrées par ces pseudos défenseurs de la liberté qui, comble de l’indignité, « n’ont jamais exprimé du dégoût ni de désapprobation à l’égard de ce sang inutilement versé ».
Ce sera l’occasion d’une longue lettre adressée à Bernanos, si prégnante au regard du célèbre romancier, qu’on la retrouvera dans son portefeuille, le jour de sa mort. Elle lui écrit :
J’ai reconnu cette odeur de guerre civile, de sang et de terreur que dégage votre livre. Je n’ai rien vu qui atteigne tout à fait l’ignominie de certaines des histoires que vous racontez. Ce que j’ai entendu suffisait pourtant. J’ai failli assister à l’exécution d’un prêtre ; pendant les minutes d’attente, je me demandais si j’allais regarder simplement, ou me faire fusiller moi-même en essayant d’intervenir…
Avant d’expliciter plus loin sa répugnance avec ces mots :
On part en volontaire, avec des idées de sacrifice, et on tombe dans une guerre qui ressemble à une guerre de mercenaires, avec beaucoup de cruautés en plus et le sens des égards dus à l’ennemi en moins !
Suite à une grave brûlure aux jambes, le séjour de Simone Weil en Espagne ne dépassa pas quarante-cinq jours. Mais si bref fut le commun parcours de ces deux intellectuels français sur leurs fronts respectifs, la symbiose unissant le romancier à la philosophe n’en continua pas moins. Une similitude de destinées faites d’errances et d’exils (au Brésil pour Bernanos, à New York puis en Angleterre pour Simone Weil qui y décéda en 1943) qui se confond avec l’analogie d’une même pâte d’humanité et de vérité.
« À force d’observer deux lignes parallèles, on aperçoit un seul trait continu », dit explicitement l’auteur à cet égard. « Ce sont des faisceaux d’histoire qui se percutent, éclatent en trajectoires contraires puis paraissent se rejoindre jusqu’à se confondre. »
Mêlée aux vents tragiques de l’histoire, telle est l’impérieuse puissance de « Colonne » sur laquelle, par le truchement de ces auteurs phares du XX° siècle, Adrien Bosc jette une lumière aussi prégnante qu’incandescente.
Michel BOLASELL
articles@marenostrum.pm
Bosc, Adrien, « Colonne », Stock, « Bleue », 05/01/2022, 1 vol. (171 p.), 18,50€
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