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De la Somalie aux Indes, de l’Algérie à la Colombie, les méfaits de la colonisation, italienne, anglaise, française ou espagnole pèsent d’un lourd impact sur les générations contemporaines et suscitent leur lot récurrent d’interrogations.
Comment ainsi, transformer des décennies d’humiliation en perspective d’un mieux vivre ensemble ? Comment faute d’oublier, faire preuve de pardon ? Et, plus encore, comment tirer du passé un enseignement pour l’avenir ?
Ces questions existentielles ont nourri pléthore d’études, rarement de romans, qui comme « Dans le ventre du Congo » les explicitent pourtant, plus intensément. Saupoudrer une fiction d’un zeste d’histoire est un processus d’écriture en vogue dans la littérature actuelle, écrivions-nous à propos de « Rachel et les siens« , l’ultime ouvrage de Metin Arditi. Parvenir à en décrypter les méandres par l’incarnation de personnages romanesques procède d’une tout autre maîtrise.
C’est le tour de force intenté, et brillamment réussi, du nouvel opus de Blaise Ndala. S’il n’avait eu l’idée de planter, dès l’abord, le décor dans la chronologie historique de l’ex-Congo Belge (1885-2005), l’auteur eut sans doute désarçonné le lecteur. Inséré dans la tradition ancestrale de l’ethnie Bakuba, le destin de la jeune princesse Tshala, séduite puis abandonnée par un cynique colon blanc, relevait d’une trame classique. Mais raccordée à l’enquête qu’une de ses nièces, immigrée illégale en Belgique, effectuera pour en dénouer le fil, l’histoire prend une autre dimension.
Pour expliquer la déchéance de la princesse Tshala, exilée du royaume Bakuba pour son amour envers un occupant, avant de finir exhibée à l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958, l’auteur va instiller son récit d’incessants va-et-vient qui dynamisent le récit autant qu’ils l’accentuent d’émotions. Certes, au gré des divers personnages qui interviennent et disparaissent pour mieux resurgir avec le temps, la lecture exige une certaine attention. Mais une fois le principe intégré, quel ravissement !
En mêlant passé et présent d’un chapitre à l’autre, comme en multipliant de savoureuses digressions, Blaise Ndala réussit la gageure de structurer le livre en un parfait édifice. Le tout avec un style aussi alerte qu’élaboré, sans jamais tomber dans le pathos, mais avec un art consommé de la description.
Ainsi ces propos de la jeune princesse, l’année de ses dix-huit ans.

Alors que devant les saisons de pluie s’inclinaient les jours sécheresse pour que du ciel nous viennent les larmes utiles à la moisson, à mesure que je quittais le pays de l’enfance et humais le parfum de l’âge des fleurs sauvages, les commentaires allaient bon train sur mon apparence. En ces années où la foi chrétienne s’immisçait dans tout, ma prétendue beauté, sur laquelle je n’eus jamais le moindre pouvoir, fut ainsi qualifiée tantôt de divine ou de diabolique. Tshala, la petite dernière du roi, n’est pas une femme en devenir, ne vous y trompez pas. Voilà une calamité contre la paix et la tranquillité. Voilà un ouragan en gestation pour le pays du Kasaï et du Sankuru.

Soucieux de fouiller le ventre du Congo comme celui de la Belgique colonisatrice, l’auteur n’opte pas pour autant dans une démarche revendicatrice. Il invite chacun, jeunes Belges et Congolais particulièrement, à ouvrir un dialogue pour un avenir à façonner ensemble.
Comme y incitent les derniers vœux du roi Kasaï mourant.

Il en est ainsi parce que la mémoire n’est pas un tribunal : c’est un antidote pour le futur, mais un antidote qui n’opère que pour autant que celui qui s’en réclame veuille faire un pari sur ce même futur.

Michel BOLASSELL
contact@marenostrum.pm

Ndala, Blaise, « Dans le ventre du Congo », Le Seuil, « Cadre rouge », 07/01/2021, 1 vol. (362 p.), 20,00€

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