Temps de lecture approximatif : 3 minutes

Amer Ouali, De miel et de sang. Un amour à Bâb-El-Oued, Editions Maïa, 03/11/2022, 19€.

Une éminente plume s’est éteinte : Amer Ouali, journaliste et auteur de plusieurs ouvrages, notamment celui relatant l’histoire de la décennie noire en Algérie (1991-2002) intitulé : Du verbe au fusil, nous a quitté le 8 mars dernier à l’âge de soixante-deux ans.
Nombre de ses pairs et amis ont rendu hommage à ses vertus humaines et professionnelles. Ayant débuté sa carrière de journaliste en Algérie, Amer Ouali faisait partie de ces rares journalistes qui avaient refusé de quitter le pays alors qu’ils étaient devenus les cibles privilégiées des islamistes durant la décennie noire. Il avait échappé à plusieurs attentats. Fidèle à son devoir d’informer sur les exactions commises envers la population civile, il officiait au sein du journal Liberté dont il était directeur de publication, et de l’Agence France Presse à Alger.

Dans ce qui est donc, hélas, son ultime roman Amer Ouali traite du thème qui lui était cher, toutefois sous une modalité distincte : celle de la narration romanesque. L’on pourrait avancer qu’il s’agit, en réalité, d’un roman d’essence documentaire, nous plongeant au cœur de la vie intime des Algériens durant cette affreuse période.
C’est l’histoire de Kamel, un avocat qui vit entre la France et l’Algérie, et de Narimane, jeune femme qui ne voulait pas rentrer dans les codes imposés par la société. Lui est laïque, indépendant, volage. Elle, est mariée et vit dans une famille plutôt traditionaliste. Au travers de la description de leur relation amoureuse, l’auteur décrit les terribles épreuves, les souffrances subies par les Algériens pendant ces années de terreur.
Les souffrances évoquées trouvent un nom et un visage dans ce roman captivant. Les lecteurs peuvent ainsi mieux ressentir l’émotion véhiculée, dépassant les considérations théoriques et les abstractions. En suivant le parcours des personnages, on saisit la réalité de la terreur vécue par chaque famille à l’époque.
Les obscurantistes avaient pris un ascendant sur une grande partie de la population et ils avaient plongé le pays dans une véritable guerre civile. Les intellectuels, les artistes, les avocats, les enseignants, les étudiants, tous ceux qui pouvaient faire preuve d’un esprit éclairé étaient condamnés à mort, tout comme les membres de forces de l’ordre, les policiers, les militaires.
On ne comptait plus les assassinats tant ils étaient nombreux, chacun se sentait menacé.
Tous étaient exposés aux attentats, voitures piégées, bombes. Ceux qui étaient particulièrement visés en raison de leur statut devaient se cacher, mais le danger venait des dénonciations, il fallait se méfier de tout le monde, des collègues, des voisins et même des membres de sa propre famille.

On faisait ses adieux à sa famille en quittant le domicile le matin sans être sûr de la retrouver le soir. On faisait ses adieux aux collègues en fin de journée parce qu’on n’était pas sûr de les revoir le lendemain.

Dans ce contexte infernal, les gens vivaient au jour le jour :

On a encore gagné une journée, se disait-on en se quittant le soir, heureux d’avoir échappé à la mort. On a encore gagné une nuit, se réjouissait-on au réveil, quand les assassins ont commencé à trouver les gens dans leur lit.

Les difficultés étaient grandes pour les Algériens qui se trouvaient pris entre deux feux, tel Nabil qui voulait échapper au service militaire tant les soldats étaient exposés aux attentats. Mais il risquait alors d’être considéré comme un islamiste et d’être arrêté et torturé par les forces de l’ordre. Sans illusions, il choisira de s’engager dans la police.
Sur la route, devant un barrage, on ne savait pas s’il s’agissait de vrais policiers ou d’islamistes déguisés. Dans les deux cas, le danger était grand. Les esprits étaient manipulés, on ne savait plus où était le bon camp : Un soldat, en proie au doute, interroge son supérieur sur ce statut : « qui sont les vrais martyrs, les nôtres ou les leurs ? »
Chaque partie avait ses martyres : il y avait les martyres victimes des islamistes, les martyrs islamistes tués lors des combats, les jeunes martyres victimes innocentes de forces de l’ordre lors de manifestations. Chacun trouvait dans la religion la justification à ses exactions :

Chacun devait trouver dans l’islam une justification à son action. Et la religion restait au cœur de tous les débats. Pourtant, chaque prêche ressemblait à un bout de bois rajouté au brasier qui ravageait le pays.

À la fin du récit, Kamel fait une sorte de triste pèlerinage dans Alger, « un tour terroristique », pourtant la vie continue et au bout de l’enfer, l’espoir demeure.
De miel et de sang : oui, ce pays a vu couler beaucoup de sang, mais on y trouve aussi, par la résilience des siens, le miel de la vie.

Image de Chroniqueur : Robert Mazziotta

Chroniqueur : Robert Mazziotta

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