Ramzy Baroud et Ilan Pappé. Notre vision pour la libération. Des Palestiniens engagés s’expriment. Éditions La Guillotine, 18/10/2024, 450 pages, 20 €
Un dossier, une guerre qui n’en finit pas. Les livres se succèdent et les témoignages aussi mais la dure réalité du terrain semble la plus forte. Celle du pot de terre contre le pot de fer. L’objectif du livre présenté par les Éditions La Guillotine est de donner la parole aux Palestiniens eux-mêmes, plutôt qu’à des intermédiaires afin de reconstruire un récit palestinien autonome, réaliste et engagé. Les éditeurs soulignent que le récit palestinien est trop souvent monopolisé : par des élites contestées, par des acteurs extérieurs (militants solidaires, diplomates, analystes), ou par les discours hégémoniques (israéliens, américains, arabes ou occidentaux).
C’est un livre qui tranche… en déconstruisant plusieurs récits dominants responsables de l’impasse actuelle : un discours pro-israélien occidental, colonial israélien, pris dans les filets d’une pseudo « normalisation » arabe, et le discours des factions palestiniennes jugé dépassé ou inefficace. Un ouvrage rassemblant une trentaine de contributions écrites par des Palestiniens — intellectuels, militants, artistes, responsables de la société civile, parlementaires, journalistes, etc. Provenant de Gaza, de Cisjordanie, de Jérusalem, et de la diaspora. Parmi les contributeurs cités explicitement dans le document : Hamdan Taha, archéologue ; Qassem Izzat Ali, journaliste à Gaza ; le célébrissime et humble Père Manuel Mousallam, figure chrétienne de Cisjordanie ; Khalida Jarrar, députée du Conseil législatif palestinien, emprisonnée ; Hanadi Halawani, militante des femmes pour la défense de la mosquée al-Aqsa ; Samah Jabr, psychiatre et psychothérapeute en Cisjordanie ; Haneen Zoabi, députée palestinienne à la Knesset. Chacun raconte ses expériences. Ils analysent la réalité de l’occupation et imaginent ce que pourrait être une Palestine libérée. Ces contributions font apparaître une Palestine plurielle, loin des caricatures : instruite, créative, profondément attachée à sa terre et à sa dignité. Elles composent un récit collectif de la condition palestinienne contemporaine, vue de l’intérieur. Elles ont été réunies par Ramzy Baroud, journaliste, analyste, chercheur, écrivain palestinien résidant aux Etats-Unis, ainsi que par Ilan Pappé, écrivain, chercheur, universitaire israélien résidant en Grande-Bretagne.
En réunissant des profils très variés allant du prêtre, au journaliste de Gaza, à la psychothérapeute en Cisjordanie, à des artistes, députés, militants, le livre présente la diversité de la société palestinienne dans ses souffrances et dans ses combats, mais aussi dans ses espoirs. Cela renforce la crédibilité d’un « récit palestinien collectif », et en donnant aux Palestiniens la possibilité d’écrire eux-mêmes leur histoire, redéfinir la Palestine au-delà de l’occupation, repenser l’avenir, la justice, la dignité.
L’objectif central de ce livre est d’offrir un espace d’expression aux Palestiniens eux-mêmes, pour y conter, analyser, développer leur propre histoire :
Notre vision pour la libération est notre tentative de proposer une nouvelle façon d’envisager la libération palestinienne. Pour que le type de libération défendu dans ce livre soit couronné de succès, le peuple palestinien doit être placé au cœur du processus, et les Palestiniens véritablement engagés doivent occuper le devant de la scène, non seulement pour faire connaître à quel point leur peuple est victime, mais aussi pour le mobiliser et lui donner les moyens d’agir. Ces Palestiniens engagés sont également cruciaux pour le mouvement international de solidarité. Et une solidarité qui n’est pas guidée par des voix authentiques est tout simplement futile ; elle ne peut pas refléter les réels désirs du peuple palestinien et ne peut donc pas mobiliser efficacement ce qui est le plus essentiel : son soutien.
On considère la Palestine comme un tout monolithique en pensant ce territoire et sa culture comme un bloc sans aucune distinction. Les auteurs tiennent à nous montrer cette pluralité des voix palestiniennes en donnant la parole directement aux acteurs. Bien que la proposition soit large, elle ne reflète pas toute la complexité et la variété des opinions au sein de la société palestinienne (ou israélienne). Certains courants, certains points de vue modérés ou critiques internes ne sont pas ou peu représentés. Le regard extérieur même fraternel ne peut suffire à rendre compte depuis son histoire et sa chair à ce qui se vit de l’intérieur. Ce regard humanise les propos et le conflit asymétrique permettant de mieux comprendre les enjeux contemporains, mais aussi les aspirations d’un peuple. Il y a là un véritable projet politique et culturel autour d’une seule idée qui peut se décliner sous divers chapitres. C’est avant tout l’idée d’une Palestine libérée, redéfinie, reconstruite, incarnée par une nouvelle génération consciente de la double dimension historique et humaniste du combat.
Le livre n’a pas vocation à être « neutre ». Il est même assez engagé en adoptant une position clairement pro palestinienne, critique vis-à-vis de l’occupation, de la colonisation, des rapports de force actuels visant à une libération de la terre de Palestine. L’un des messages centraux mis en avant par les auteurs est que « la libération » ne se limite pas à la fin de l’occupation. C’est aussi « la libération du discours », le droit pour les Palestiniens d’écrire eux-mêmes leur histoire, de définir leur avenir, et de reconstruire leur identité collective.
Lire ce livre c’est déjà un acte de militance. Il ne se contente pas de dénoncer : il imagine, il projette, il propose.
C’est le temps favorable, le Quairos pour qu’une nouvelle stratégie pour la Palestine et les Palestiniens soit mise en place.
Les auteurs considèrent leur travail comme un « instrument de lutte culturelle et politique » comme un « un espace d’expression aux Palestiniens eux-mêmes » afin de raconter leur histoire, réaffirmer leurs revendications, et penser la Palestine d’après sous l’angle de la justice, de l’égalité, de la dignité, et de la liberté. Ils ont voulu donner la parole directement aux Palestiniens avec des expériences multiples : civils, artistes, intellectuels, militants, exilés, réfugiés, etc. Il s’agit tout d’abord de penser la Palestine par les Palestiniens eux-mêmes, et ensuite de se réapproprier le récit. Pour ce faire, cette story telling palestinienne ne peut être pensée qu’à partir d’une déconstruction des récits réputés dominants ; c’est-à-dire le discours pro-israélien occidental, le discours colonial israélien, le discours de normalisation, et le discours des factions palestiniennes responsables de l’impasse actuelle. Bien naturellement, cette posture est accompagnée d’une critique implicite, mais aussi directe de Ilan Pappé l’accusant de « politiser l’histoire ».
Les deux auteurs nous permettent d’accéder à une approche renouvelée de la résistance palestinienne en démontrant que la lutte n’est pas l’apanage des factions politiques traditionnelles, mais traverse aussi la culture, la science, la mémoire ; et se vit et perpétue en diaspora. Cet essai devient un document d’étude de la société palestinienne contemporaine en mettant également en exergue des dynamiques de résistance, d’exil, de mémoire, de reconstruction culturelle. Une narration palestinienne en gestation qui change les plans habituels et convenus. On quitte le plan fixe pour des plans plus ouverts. Au-delà de « l’Appel à une révolution culturelle et mémorielle » on entre dans le projet de réappropriation du récit palestinien par les Palestiniens eux-mêmes. Une démarche que des historiens ou sociologues peuvent analyser comme un moment de construction identitaire collective. C’est d’autant plus important aujourd’hui que le Mouvement palestinien est de plus en plus réduit et de plus en plus fragmenté – voire très divisé. Se réécrire. Écrire une histoire dans l’Histoire.
Un positionnement souvent critiqué
L’un des arguments récurrents contre l’approche de Ilan Pappé est qu’il adopte une posture qui mêle histoire, mémoire collective et engagement politique. Historien réputé et très critiqué on lui reproche sa « subjectivité assumée », une « extrapolation politique », et un usage exclusif ou prioritaire de certaines sources, et enfin une démarche factuelle manquant de rigueur. Il privilégie les sources arabes et omet des ressources contradictoires. La diversité des voix palestiniennes reste à l’évidence subordonnée à une vision politique : libération d’une Palestine « unique » et décolonisée et par voie de conséquence de donner une image partielle de la société palestinienne orientée politiquement. Le texte vise à construire un récit alternatif en éclipsant des voix palestiniennes modérées, critiques internes, libérales, ou favorables à d’autres voies (cohabitation, compromis, deux États, etc.).
On abordera cet ouvrage avec esprit critique et ouvert. Ce n’est pas un ouvrage d’histoire académique neutre : l’anthologie a un projet politique, mémoriel, idéologique. Il présente un point de vue parmi d’autres. Néanmoins, des noms reconnus trouvent le récit que les deux auteurs nous donnent comme étant à la hauteur de l’urgence à régler définitivement le « dossier palestinien ». Notons deux prises de position parmi tant d’autres : « Ces visions émouvantes d’une Palestine décolonisée, démocratique et libre résonneront partout où les aspirations collectives à la liberté ont survécu. Les intellectuels, les militants et les artistes palestiniens sont un phare à la fois pour l’avenir de la Palestine et pour le destin de notre planète. »
Angela Davis ; et celle du cinéaste britannique Ken Loach : « Ce livre mérite un accueil chaleureux. Il célèbre les réalisations des Palestiniens et la riche diversité de leur culture. Il est clair que leur esprit de résistance est bien vivant. »
En effet, le récit palestinien est encore trop souvent monopolisé par des représentants dont la légitimité peut être mise en doute ou est fortement contestée, où par des personnalités non-palestiniennes du mouvement de solidarité, qui malgré leur engagement, représentent un point de vue qui restera externe. Attachés à une histoire qui se veut populaire, Ramzy Baroud et Ilan Pappé ont fait une sélection très représentative de présentations de parcours individuels et collectifs dans le cadre de la lutte pour la survie, la résistance à l’occupation, la libération nationale de la Palestine. La société palestinienne apparaît dans sa réalité d’aujourd’hui, sous occupation. Une Palestine libre, disposant d’un état de droit comme tant de pays à travers le monde, s’appuiera alors sur ce type de personnalités qui lui donneront son cadre institutionnel et formel. Le projet n’est pas seulement critique : il est constructif. Les contributeurs esquissent ce que pourrait être la Palestine après la libération : un État de droit, démocratique, égalitaire, fondé sur la justice. Les textes abordent l’occupation et ses effets psychologiques, économiques, sociaux ; la résistance — armée, civile, culturelle, spirituelle ; la mémoire de la Nakba et des guerres ; la vie à Gaza sous blocus ; les mobilisations des femmes ; la place des communautés chrétiennes ; le rôle de la diaspora dans la lutte ; l’avenir possible après la libération.
Les auteurs essayent de contribuer à l’émergence d’un récit palestinien autonome, centré sur les aspirations populaires, et porté par les acteurs eux-mêmes. Cette volonté de reconstruction narrative est l’axe idéologique majeur du livre : il s’agit d’une entreprise de décolonisation de la parole. C’est une « reconquête du récit » en restaurant l’autonomie narrative palestinienne. On n’y trouve pas une approche académique neutre, mais une écriture vivante, subjective, souvent poignante. Les auteurs parlent de la Nakba, de la guerre, des prisons, de la colonisation, mais aussi de leurs rêves, de leur détermination, de leur vision d’une Palestine future : libre, égalitaire, débarrassée du colonialisme. Ramzy Baroud et Ilan Pappé ne s’arrêtent pas à la dénonciation : ils proposent une vision d’avenir, un imaginaire politique. Leur livre ne couvre pas l’ensemble des sensibilités palestiniennes (notamment les lignes plus modérées ou les approches centrées sur le compromis diplomatique). Il documente l’expérience palestinienne sous occupation, donne la parole à celles et ceux qui la vivent et la transforment, et propose une vision claire d’une Palestine future, juste, égalitaire, décolonisée. C’est à la fois : un outil de connaissance, un acte politique, un geste de mémoire, et un projet de libération.
Les contributeurs sont des militants de la société civile du quotidien, défenseurs des lieux saints, soignants, députés, journalistes, enseignants, hommes et femmes de foi. Chaque texte montre que la résistance palestinienne est une force diffuse. Elle s’exprime dans la recherche archéologique, dans l’enseignement, dans la santé mentale, dans la culture, dans les prisons, dans le travail communautaire. Cette vision élargie renverse le stéréotype d’une résistance uniquement militarisée : elle devient un projet de vie, de pensée et de reconstruction identitaire. Un double enjeu se fait jour et crée une dynamique intérieure : affirmer que la résistance est un droit mais aussi une créativité. La résistance ne se limite jamais à sa dimension militaire : elle peut être : intellectuelle, culturelle, spirituelle, sociale, psychologique, éducative, féministe. Ils sont toujours nouveaux, ingénieux, et poussent en avant. Comprendre la lutte palestinienne comme une lutte multidimensionnelle.
À travers ces pages, on se sera approché de la réalité réappropriation du récit, représentation de la société palestinienne, vision de la libération, et de la diversité des résistances.
Le livre « Notre vision pour la libération » apparaît comme un ouvrage à la fois politique, littéraire, mémoriel et prospectif. Les auteurs ne prétendent pas proposer un texte neutre mais davantage un écrit un document, un acte de souveraineté narrative. Chaque contribution participe à une entreprise de dignité collective, où les Palestiniens se présentent non comme objets d’analyse, mais comme sujets de leur propre histoire. Le propos du livre est de tenter d’esquisser une vision d’avenir : ce n’est pas uniquement le récit d’une souffrance, mais un projet politique, culturel, social. Cette parole palestinienne rendue à son peuple est un document précieux pour comprendre la Palestine contemporaine. La libération palestinienne n’est pas présentée uniquement comme un objectif politique mais comme un projet global. Elle n’est pas seulement une question territoriale mais un processus social, institutionnel, intellectuel, et moral. Cela pourra se faire si des paramètres vitaux, justes et efficaces sont intégrés tels que la justice, l’égalité, la décolonisation, la dignité individuelle, le respect des droits humains, la solidarité internationale. Au-delà de la souffrance et du statut victimaire ; il décrit comment reconstruire un avenir juste et digne. Il s’agit avant tout d’un acte d’espérance autant que de résistance.
Enfin, l’ouvrage contribue à montrer que la résistance palestinienne ne se limite pas à la guerre ou aux factions. Elle est traversée par des terrains variés (mémoire, culture, identité, psychosocial, diaspora, engagement quotidien). La société palestinienne apparaît dans sa réalité d’aujourd’hui, sous occupation, et dans son devenir lorsque la libération sera devenue effective. Une Palestine libre, disposant d’un état de droit comme tant de pays à travers le monde, s’appuiera alors sur ce type de personnalités qui lui donneront son cadre institutionnel et formel. Ainsi, l’ouvrage ne veut pas seulement parler de la Palestine. Il veut montrer ce que les Palestiniens disent d’eux-mêmes, dans leur pluralité et leur complexité.
Que l’on soit parfaitement d’accord ou non avec leur prise de position, les auteurs ont à cœur de lire (et, relire), d’informer et de construire une vision positive d’un avenir possible pour la Palestine et pour les Palestiniens au moment où Gaza est toujours sous les bombes et dans une extrême misère, que la Cisjordanie en subit aussi indirectement les retombées, et que l’exil devient un état commun… ; et particulièrement pour les Chrétiens dans cette partie du Monde.
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