Delair-Clouzot – Noël Herpe & Jacqueline Willemetz

Disons-le d’entrée, ce livret de 110 pages est une bouffée d’air pur. Comment pourrait-il en être autrement avec Delair et Clouzot, un couple que tout oppose et (ré)unit ? Suzy, belle et insouciante, qui, avec son petit tralala enjoué et avec ses jeux de jambes et de mots, attise et échauffe les pensées, les feux et les désirs de Henri-Georges, jaloux et obsessionnel. Elle a vingt ans, un caractère déjà bien trempé, de l’ambition, de la verve et un langage franc, il a quasiment le double et tombe immédiatement sous son charme. Pour lui, le maître mot – mieux, la maîtresse parole – avec elle, est l’Imprévu : il ne sait jamais ce qui l’attend avec elle. Quant à elle, ce qui la séduit est : « Vous avez vingt ans, de beaux yeux, du talent et de l’ambition. Il vous reste à trouver un homme à qui vous vous soumettrez, un homme qui vous calme et vous oblige à un travail tranquille et régulier ». Ils sont un couple hors normes : non marié, avec ses hauts et ses bas, ses brouilles et ses séparations incessantes. Avec eux, on passe vite de Pygmalion à Qui a peur de Virginia Woolf ? De fait, ni l’un ni l’autre n’est facile. Ils ne sont pas des saints, loin de là, mais ils s’entendent merveilleusement bien tant sur le plan artistique qu’érotique, ils pactisent le cœur à l’unisson avec la Continental et avec Alfred Greven qui flaire le talent du réalisateur et celui de l’actrice. Leur union parfaite et spirituelle se reflète dans leurs films communs où les Mon biquet et Mon minet intimes se retrouvent ainsi dans L’assassin habite au 21, private jokes qui devaient faire leur joie.

Les lettres présentées dans ce livre par Noël Herpe, écrivain, cinéaste, critique et historien du cinéma, commissaire de l’exposition Le Mystère Clouzot à la Cinémathèque française en 2017 et directeur du catalogue homonyme et collectif (Lienart, 2017), racontent cette tragédie du démariage et du lien amoureux qui se défait inexorablement. Les Lettres d’Avignon, de Lyon, de Toulon, de Paris, de Milan, de Coulon, de Val d’Isère, de Luché-Pringé, de Le Lude, de Montfort-L’Amaury, de Venise, de Cannes, de Londres… attestent d’un amour omniprésent et intemporel qui traverse les corps et l’espace. Et Clouzot au Maroc ne cesse de penser à elle, amoureux toujours transi. Il lui écrit de Rabat, de Casablanca, de Ksar es Souk. Il lui envoie des lettres et des télégrammes. Il lui offre maints Mille baisers, baisers chauds et baisers fous. Il attend d’elle, nuit et jour, des nouvelles écrites ou des coups de téléphone. Écrits émouvants d’un amoureux esseulé qui se sait éconduit et incapable de retenir sa belle : « Surtout sois sincère. Je ne te demande aucun ménagement, mais ne sois pas méchante par amour-propre. Dis-moi ce que tu penses, tout ce que tu penses, mais n’en rajoutes pas pour me faire souffrir. Réfléchis et dis-toi que je ferai quatre cents kilomètres pour chercher ta lettre. Et maintenant, je veux fermer les yeux, oublier un instant le présent et t’embrasse comme autrefois. Si tu le veux, tu trouveras à ce baiser le goût d’un curieux mélange, une tendresse qui veut sourire quand même, de l’amour et du chagrin. Je t’embrasse, ma petite bique, et je te serre très fort contre moi. Minet ». Quand il rentrera, elle sera partie. Chacun poursuivra de son côté une carrière artistique. Elle, une œuvre inégale mais brillante, lui, des chefs-d’œuvre impressionnants. Tout récemment, Lorsque Noël Herpe frappera à la porte de Suzy Delair pour écrire ce livre, elle lui confiera : « Henri-Georges… Quelle connerie j’ai faite de le quitter… Il ne se passe pas un jour sans que je pense à lui ». Tout est dit, tout est à relire surtout, et à méditer, avec cet opus !

Les illustrations, lettres et photos, proviennent de la collection particulière de Jacqueline Willemetz – qui vient de publier Suzy Delair, mémoires, chroniqué sur ce même site – et de Ghislaine Gracieux. Il convient de remercier ces dames, comme Noël Herpe, de nous faire partager et revivre ces précieux documents (on ne saurait aussi mieux montrer l’utilité d’exploiter et de populariser des archives de cinéma privées ou publiques).