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Patrick ne croit plus en l’amour, il s’ennuie à son travail, se saoule au bistro du coin, il est sujet à une certaine mélancolie et visionne sans cesse ses vieux films préférés… Patrick va avoir cinquante ans.
Pourtant une rencontre lors d’une soirée mondaine va redonner au personnage du nouveau roman de Christian Authier, un peu goût à la vie. À son avantage un temps « Un fils et un roman dans la même année, tu n’oublieras pas cette époque. Profites-en, ce sont les meilleurs moments, lui confia l’éditeur », Patrick s’essouffle un peu depuis, écrit pour les autres « des Mémoires de sportifs, d’actrices et d’acteurs, d’un ancien ministre de Mitterrand, d’une grande figure de l’écologie… ». Attention on ne dit plus « nègre », mais « collaborateur » !

Cela ne le chagrinait pas. Finalement, l’expression anglo-saxonne de « ghost writer », popularisée notamment par le film de Polanski et qui sonnait mieux désormais en France que le mot « nègre » aux relents racistes et coloniaux, définissait parfaitement son rôle : un fantôme.

Patrick travaille surtout comme chef de rubrique d’un hebdomadaire, il profite d’ailleurs de la rédaction de sa chronique pour déclarer sa flamme, ou plutôt manifester un peu lourdement son intérêt à Laurence, avocate solitaire, réfugiée exclusivement dans son travail depuis un drame personnel. Il y a plus sobre pour aborder une femme, mais la technique est finalement efficace.
Les deux solitudes vont s’apprivoiser dans une adolescence des sentiments, un peu puérile, sincère, mais aussi tout en prudence. C’est que le background de ces deux âmes est pesant, la perte d’êtres chers étant enfouie dans chacun, la perte de confiance en soi étant quant à elle bien présente et partagée.
L’auteur se concentre sur les plaisirs qu’offrent l’amour et le retour de jeunesse dans un couple d’un siècle à tous les deux. Le récit ne s’attarde donc pas ou très vite sur celui de la chair, mais insiste plutôt sur les dîners, les bonnes bouteilles, les films visionnés (cette fois ensemble), et surtout les voyages.

Le goût de la Méditerranée se fait vite ressentir d’ailleurs chez Patrick qui emmène Laurence en Turquie, au Liban et en Espagne, ce pays marquant bien la renaissance du personnage principal qui risquait de virer un peu « ouin-ouin » et fatiguant pour son entourage, mais qui réagit enfin grâce à cette femme providentielle.

Patrick avait toujours aimé l’Espagne, amour hérité de son enfance – encore heureuse – et de son adolescence quand les vacances familiales choisissaient pour décors la Costa Brava, Valence, Alicante, Séville ou Grenade. Il aimait ce peuple, son histoire, ses tragédies, son élégance, sa décence, sa joie, son exubérance.


Les Espagnols étaient des Français de bonne humeur. En dépit de la modernité, de la crise, de la paupérisation, du tourisme de masse et de ses nuisances, il retrouvait là-bas le parfum des Trente Glorieuses françaises, une jouissance du moment présent, une foi en l’avenir marié à l’héritage assumé d’un passé fût-il parfois tragique.

Le fil conducteur du roman est l’invitation aux cinquante ans de l’ami de jeunesse de Patrick. La bande de quinquas se lâche durant une soirée épique et retrouve éphémèrement tous les excès de sa jeunesse. Nous gardons tous un détail secret destiné à nous souvenir et surtout à croire que nous sommes restés l’homme ou la femme insouciant que nous étions. Cela peut être un t-shirt à l’effigie d’un groupe de rock devenu un pyjama, ou un tatouage bien caché. Seulement, une fois la madeleine de Proust avalée avec un Gin Tonic plutôt qu’un thé de Léonie, voilà que resurgit un sentiment enfoui, une émotion désinhibitrice. Lors de l’anniversaire de Fred les circonstances sont ainsi réunies au mitan de la vie de ces anciens combattants pour faire rejaillir la sauvagerie potache de leur jeunesse. En voilà un qui montre son cul et gueule contre le voisin, l’autre s’endort bourré dans la baignoire, des filles sont jetées dans la piscine, ces deux-là baisent dans la chambre d’amis… Cette fête est un grand moment de drôlerie, digne d’une scène de cinéma. Jean-Pierre Bacri aurait incarné un fantastique Patrick de « Demi-siècle ». Quel dommage…

Olivier AMIEL
articles@marenostrum.pm

Authier, Christian, « Demi-siècle », Flammarion, « Littérature française », 05/05/2021, 1 vol. (274 p.), 19€

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