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Frédéric Martinez, Neil Armstrong et Iouri Gagarine : deux vies, un rêve, Passés composés, 07/02/2024, 300 pages, 22€

Gagarine et Armstrong. Deux hommes, héros de l’espace. Deux destins attirés par la conquête spatiale, adulés du monde entier et pourtant marqués au fer rouge par une aventure dont ils ne sortiront pas indemnes.
Deux personnages incontournables de l’odyssée aérospatiale dont Renaud Martinez a eu l’heureuse idée de mêler les existences, via tout un lot de drames et d’accomplissements hors du commun.
Si l’on ajoute à cela leur commun contexte environnant de la Guerre Froide cela fait de l’ouvrage un passionnant document. A commencer par la singularité du prologue où le cosmonaute russe en vacances en Crimée, et submergé sans doute par la kyrielle d’honneurs planétaires, va d’un coup perdre la tête.
Et l’auteur de conter la mésaventure du petit gars de Klouchino devenu de retour de 108 minutes dans l’espace, l’homme le plus célèbre du monde. « Kroutchev en personne est venu l’accueillir à l’aéroport de Vnoukovo, Elisabeth II l’a reçu à Buckingham Palace, Gina Lollobrigida, la vamp italienne descendue de l’Olympe en stuc de Cinecitta, l’a embrassé sous la mitraille des flashes. » Et voilà que le bon Youri surpris par sa brune épouse dans une chambre d’hôtel aux bras d’une jolie blonde est prêt à sauter d’un balcon pour échapper à la vindicte. Etonnant vaudeville pour démarrer le récit d’un ancien métallo à qui la gloire soudaine fit chavirer l’esprit.

D’un portrait l’autre, un passionnant aller-retour

Toujours à titre d’anecdote, mais de l’autre bord de l’Atlantique, l’auteur campe un tout autre portrait. Celui du petit Neil Armstrong, âgé de six ans, auquel son père offre en guise de cours de catéchisme un premier vol en avion.
Pour vingt-cinq cents, c’est moins cher le matin fait remarquer le père, et voici les deux complices installés à bord d’un Ford Trimotor monoplan. L’engin ne dépasse pas les 190 km/h, mais c’est assez pour coudoyer les anges. Le récit est tout aussi attractif.
« Installé sur un des sièges en osier du Tin Goose, Neil regarde les rues et les immeubles en brique de Warren s’éloigner, scrute le ciel, peut-être, mais il n’y voit rien, ni grand destin, ni révélation dans la trame de l’azur – c’est un garçon raisonnable ! »
Deux temps forts d’existence qui campent la saga de façon sémillante pour en extraire par la suite toute la quintessence.
Tout à la fois, biographie, et reflet d’histoire, ce livre conçu comme un roman, sans vrais repères chronologiques, est aussi original qu’attrayant. Il a l’art conjugué de situer ces deux destinées dans une époque, la décennie 1940, tout en croisant leurs vies, un temps diamétralement séparées.

Voler plus haut, plus vite, plus loin

Ainsi, pendant que le jeune Iouri est chassé de sa maison lors de l’incursion des troupes hitlériennes lors du terrible hiver russe de 1941, Neil mène des jours tranquilles à Wapakoneta, petite bourgade de l’Ohio en jouant du baryton dans l’orchestre de l’école ou en s’initiant au théâtre.
Pour ce qui relève de leur futur dans l’espace, les choses en iront différemment. Pendant que Gagarine fait son apprentissage d’ouvrier-fondeur, Armstrong nanti d’un brevet de pilote dès seize ans va brûler les étapes. Entré dans la Navy deux ans plus tard, il est nommé pilote peu après et va connaître peu après le baptême du feu lors de la guerre de Corée.
 Tout est beaucoup plus compliqué pour l’adolescent russe. Après de piètres essais de formation, il va s’accrocher à son rêve et profiter des effets de la vitrine soviétique. La DOSAAF (organisation paramilitaire) veut populariser son essor de communication. Et l’ange prolétarien, photogénique et membre du Komsomol a le profil idéal pour l’illustrer. « Sous la première photo qui le représente assis dans la carlingue du Yak 18, juste avant le décollage, la légende annonce la couleur : Voler plus haut, plus vite, plus loin. »
Un apologue prémonitoire que l’intéressé va savoir cependant mettre à profit. Choisi parmi la dizaine de candidats aptes à défier l’apesanteur, Gagarine montrera la détermination nécessaire lorsqu’il fera connaissance avec son drôle d’engin spatial.
Impassible devant cette grosse boule de 4 500 kg, pour 2,3 mètres de diamètre, le cosmonaute va donner les gages de sa pleine assurance pour faire le grand saut, comme il l’écrit la veille de son départ.

"Ce petit pas pour l’homme…"

« Côté technique, ma confiance est totale. Il ne doit pas y avoir de mauvaises surprises. Mais il arrive qu’on se casse le cou en tombant sur un sol impeccable. Là non plus je ne suis pas à l’abri d’un pépin quelconque. Et pourtant je n’y crois pas… »
Le 12 avril 1961, l’exploit est réalisé. A 27 ans, Gagarine passe une heure et demie en orbite autour de la terre et devient le premier homme à effectuer un vol dans l’espace qui lui vaudra une notoriété planétaire.
Il faudra attendre plusieurs années pour que les Etats-Unis – Von Braun en tête –, dépités par l’avancée soviétique ne reprennent les commandes. Et comme il l’avait fait pour le camarade Iouri, Renaud Martinez va évoquer avec autant de brio et d’anecdotes le parcours de Neil Armstrong. Le drame de sa fille décédée à l’âge de trois ans, les déboires qui s’ensuivirent lors de vols d’essai, sa prouesse à bord de la capsule Gemini dont il récupère in extremis le contrôle jusqu’à la prise de commande du premier vol lunaire et sa phrase historique dès sa prise de contact avec la lugubre planète.
« That’s one small step for a man » (Ce petit pas pour l’homme mais un bond de géant pour l’humanité), qui ce 16 juillet 1969 va marquer pour toujours l’histoire de l’humanité.
Un pan d’histoire indélébile entre deux êtres d’exception, ins­tru­men­ta­li­sés dans une guerre idéo­lo­gique autant que dans une com­pé­ti­tion spa­tiale, que l’auteur nous fait revivre avec grand talent.

Image de Chroniqueur : Michel Bolasell

Chroniqueur : Michel Bolasell

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