Adrien Goetz, Adrien, Dictionnaire amoureux de la Toscane, Plon, 06/04/2023, 1 vol. (642 p.), 26.50€.
Les dictionnaires amoureux font partie d’une collection, pourtant chacun d’entre eux entre en résonance avec l’univers de son auteur. Celui d’Adrian Goetz n’échappe pas à la règle. Cet historien de l’art est aussi romancier. Il a consacré l’un de ses romans, La Dormeuse de Naples, à un chef-d’œuvre perdu par Ingres en 1815, où il évoque les ateliers des peintres du XIXe siècle à Paris, Rome et Naples. Dans Une petite légende dorée, Carlo, le protagoniste, s’attache à reconstituer un tableau de la Renaissance siennoise, dont les parties sont disséminées à travers le monde. Cet amour pour l’Italie et l’érudition qui transparaît dans ses livres se retrouvent dans ce Dictionnaire amoureux de la Toscane.
La marque de l’historien de l’art
Le choix de traiter de la Toscane, une région d’Italie où s’est exercé de manière prégnante le mécénat de la famille Médicis, suscitant une floraison artistique exceptionnelle, apparaît de façon marquée dans le dictionnaire d’Adrien Goetz. Ainsi, il consacre bon nombre d’articles aux peintres, sculpteurs, graveurs qui se sont illustrés : Andrea del Sarto, Fra Angelico, Benvenuto Cellini, Botticelli, Cimabue, la famille Della Robbia, Ghirlandaio, Filippino et Filippo Lippi, Michel-Ange, Masaccio, Piero della Francesca, Pontormo Leonard de Vinci, etc. Il mentionne et décrit les musées célèbres, comme la galerie des Offices ou le Bargello, les lieux culturels, les bibliothèques. Il célèbre les historiens de l’art, Vasari, Laclotte, Daniel Arasse, André Chastel, et commence plusieurs de ses textes par la mention : « une invention des historiens de l’art ? » destinée à problématiser le sujet qu’il traite, à éviter les stéréotypes et les idées reçues sur la question. Il pose aussi la question des faux et des faussaires.
La Renaissance italienne avait distingué l’artiste de l’artisan, l’œil et la main, comme Léonard de Vinci qui mettait l’accent sur la dimension conceptuelle de la peinture, ou l’humaniste Marsile Ficin. Dans ce dictionnaire, qui traite des ateliers et de « l’espace de la bottega », de multiples formes d’artisanat sont recensées, comme la majolique, injustement dédaignée, les cuirs et peaux, l’art de la cuisine, les faïences et porcelaines, la terracotta, cet art de l’argile que l’on pratique à Impruneta, invité à des chantiers de restauration historique, comme « la reproduction de 300 vases pour les jardins du palais de Het Loo, aux Pays Bas, afin de restituer l’état des jardins du temps de William III et de Mary d’Angleterre. » Cet art a suscité la création d’un itinéraire touristique, intitulé, « Route de la céramique, du gypse et de la terre cuite en Toscane« , en 2008. Le marbre de Carrare et le travertin, (pietra serena), ont aussi leurs lettres de noblesse.
Adrien Goetz s’intéresse au décor des cassoni, à l’intarsia, ou tarsia, cette marqueterie florentine réalisée avec des pierres dures, et plus particulièrement la tarsia pittorica, dont ces merveilleux portraits de Dante et de Pétrarque réalisés par Giuliano da Maiano sur les vantaux de porte de la Sala dell’Udienza du Palazzo Vecchio. Il consacre aussi plusieurs pages aux fausses maisons de peintres, ainsi qu’aux jardins et aux parcs dont beaucoup ont été créés par des artistes, tel l’hortus conclusus de Castello del Trabbio, havre de paix pour les plus fortunés, à l’image des personnages du Décaméron de Boccace. Il rappelle les préconisations d’Alberti dans son traité L’Art d’édifier, en réaction contre le clos médiéval, pour concevoir un nouvel art des jardins s’articulant autour de la perspective, ou les jardins imaginaires du Songe de Poliphile écrit par Francesco Colonna. À côté des parcs botaniques de Florence, Lucques, Pise ou Sienne, il évoque les jardins d’agrément des villas médicéennes, ou les Cascine décrites par Dumas, etc, avant de citer des jardins contemporains, parfois inspirés par Bomarzo, comme le Jardin des Tarots de Niki de Saint Phalle ou celui de Daniel Spoerri.
Des figures, des lieux et des événements célèbres
Les artistes et les mécènes ne sont pas les seuls auxquels Adrian Goetz rend hommage. Il célèbre des savants, comme Galilée et Fibonacci, ou des astrologues et astronomes de la Renaissance dont Aby Warburg a retrouvé les livres (qu’il mentionne dans Essais florentins). Des hommes politiques, comme Garibaldi, dont l’effigie investit tout l’espace jusqu’à saturation. Des écrivains, de l’Arétin, connu pour ses ouvrages sulfureux, à Italo Calvino, recueillant (et inventant peut-être ?) les contes populaires italiens, en passant par Carducci Pic de La Mirandole et surtout Dante. Des figures de fiction, comme Pinocchio de Collodi, auquel un parc d’attractions est consacré. Des condottieri, des grandes familles comme les Piccolomini. Les florins, monnaies et lettres de changes, renvoient à ces banquiers du Rinascimento, dont les succursales se trouvaient à Venise, Naples, Lyon, Bruges, Londres, etc., et dont les filles épousaient des rois, ou la Biccherna, conseil des finances de Sienne. Le dictionnaire traite aussi des musiciens, comme Boccherini ou des réalisateurs comme Zeffirelli, et les lieux qui ont inspiré bon nombre d’entre eux, Pasolini, les frères Taviani, Comencini, Visconti, Kenneth Branagh, Orson Welles ou Guillermo del Toro. Et enfin des visiteurs ou résidents parfois prestigieux, Elisa Bonaparte, Hector Berlioz, Stendhal entre Rome et Naples, André Suares, Anatole France, ou Violet Trefusis. Adrian Goetz s’interroge : « Dostoïevski était-il florentin ? » et consacre deux articles, l’un aux voyageurs artistes dans leur ensemble et l’autre aux voyageurs français, ainsi qu’un autre, s’attachant à définir le Grand Tour.
L’Arno, avec ses variations et ses débordements, qui a inspiré des projets visant à réguler son cours en asséchant Pise, mais irréalisables pour cette même raison, à Léonard de Vinci ou Machiavel. Le Campo dei Miracoli et la tour de Pise, Prato, l’Etrurie, l’île d’Elbe, Lucques, dont les contours de l’ancien amphithéâtre, aujourd’hui disparu, sont épousés par ceux de la place principale, les villas célèbres, sont recensés avec bonheur par l’auteur.
L’art de vivre à la toscane
Le livre répertorie les cafés historiques de Florence, comme le Caffè Gilli, ou les Giubbe Rosse, dont les vestes des serveurs rappelaient les « chemises rouges » de Garibaldi. Il donne la recette du cocktail Negroni, inventé par un comte italo-anglais. Il célèbre la gastronomie, comme ce rituel toscan qui consiste à tremper des cantucci dans « du vin blanc un peu liquoreux« , les rouges comme le Chianti ou le Montepulciano, et la grappa. Il évoque la cuisine toscane, qu’il compare à l’arte povera, par sa capacité à sublimer les choses simples, parle du mouvement slow food qui exalte les produits du terroir, ou les trattorie proposant la cuisine casalinga (maison), et décline les diverses spécialités qui la composent, mettant l’eau à la bouche du lecteur. Il s’attache aussi à décrire les confiseries, zuccotto florentin ou panforte siennois. L’huile d’olive, sujette à des contrefaçons, doit inciter à la prudence.
Il porte un regard critique et interrogateur sur les fêtes comme le Palio de Sienne ou le Calcio storico de Florence et se demande si le carnaval de Viareggio n’est pas la fête la plus vulgaire d’Italie. Il raconte les bains de mer, et malgré sa détestation du football, fait l’éloge de l’équipe la Fiorentina et de ses talentueux joueurs. Au-delà de ces divertissements populaires, il dit l’autre aspect de la Toscane, oppose l’otium, ce loisir aristocratique des Latins, en opposition au negotium, loue la richesse, le luxe et le raffinement, incarné par ses palais et ses œuvres d’art, mais aussi ses célèbres marques de mode, Gucci, Ferragamo, ou les parfums et les crèmes de Santa Maria Novella.
Dans sa préface, l’auteur, qui voit dans la Toscane un lieu qui tend un miroir aux visiteurs, aspire à faire de ce dictionnaire une mosaïque et un rêve. Pari tenu. Ce condensé de poésie, d’érudition et d’humour constitue une merveilleuse invitation au voyage, et un guide précieux pour ceux qui aspirent à s’éloigner des sentiers battus. À feuilleter avec volupté, comme on savoure un bon vin.
Chroniqueuse : Marion Poirson-Dechonne
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