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Quelle famille ! Et quel berceau ! Estagel dans les Pyrénées-Orientales, cette bourgade de près de trois mille habitants, au bâti austère, à l’environnement viticole de la vallée de l’Agly, et à une trentaine de kilomètres de Perpignan. Ici est né François Bonaventure Arago qui en sera maire. Ici sont nés cinq de ses six fils : François d’abord, l’astronome et physicien internationalement reconnu, Jean engagé dans les mouvements révolutionnaires du Mexique où le rejoint son frère Joseph, Jacques “l’explorateur excentrique”, et le militaire Victor. Il en manque un : Étienne, né lui à Perpignan, le républicain révolutionnaire, oncle le plus proche d’Emmanuel.
C’est ce dernier dont Paul Baquiast et Bertrand Sabot, ont retracé la vie. Mais on ne peut pas descendre d’une telle lignée sans se faire remarquer ! Écrire une biographie est parfois aventureux. Le chemin se révèle tortueux. On peut opter pour l’hagiographie respectueuse, la critique acerbe, l’identification narcissique. Et puis il y a la crainte de passer à côté de la vérité du personnage. Le préfixe “bio” indique bien que l’on va parler de toute l’étendue d’un cycle vital, de la naissance à la mort en entrant par effraction dans l’intimité d’un être humain. Ici, tout est affaire de possession : on possède un personnage mais on finit par être possédé par lui. Ressusciter la vie d’un autre est un sacerdoce. La complexité d’un Emmanuel Arago rend la tâche encore plus lourde. Il faut plonger au cœur des archives, des témoignages, de la correspondance. C’est ce que les auteurs ont fait pour dégager la personnalité de cet homme jusque-là méconnu. Ils ont aussi étayé leur propos avec l’aide de ce “Memento de mon fils”, ces mémoires écrites à partir de 73 ans, restés à l’état de manuscrits et dont manque une partie importante.
Le fils de François a toujours pâti de la notoriété de son père. Il avait un nom, il lui a fallu bâtir un prénom. Il l’a fait, tout au long de ce XIX° siècle qu’il a parcouru dans sa quasi-entièreté, né en 1812 et mort en 1896. Né sous l’Empire, il a connu la Restauration, la monarchie de Juillet, la Deuxième République, le Second Empire et la Troisième République, régimes séparés par des mouvements révolutionnaires réussis ou avortés…
Dans ce siècle agité, il y a ceux qui contemplent les événements, ceux qui les décrivent et ceux qui les provoquent et participent aux mouvements. Emmanuel Arago est de ces derniers.
Son père le voulait scientifique, il commence sa carrière dans l’écriture de poèmes, mais aussi de vaudevilles… Par intérêt pour les actrices ? Sans doute. C’est sûrement ce goût pour les lettres qui lui fait engager une correspondance suivie et une longue amitié avec George Sand. Mais la littérature ne lui suffit pas : il s’engage dans le droit et devient un avocat talentueux dans les procès politiques qui lui apportent la notoriété, et les procès industriels qui lui apportent l’aisance financière. Dans ses procès, il révèle son engagement républicain. Quarante-huitard, il est envoyé à Lyon comme commissaire du gouvernement où il excelle comme négociateur dans une ville difficile, ce qui le désigne tout naturellement pour être ambassadeur à Berlin. Opposant à l’Empire, il reprend sa robe d’avocat pour défendre les républicains. Mais ses diverses activités ne l’empêchent pas de rester fidèle à sa région où il se présente plusieurs fois aux élections législatives avec des fortunes diverses. Sénateur des Pyrénées Orientale, la République le fait ambassadeur à Berne où son activité ne se dément pas. Jusqu’à sa mort en 1896, il demeure un homme de conviction et d’action.
Voilà ce que les auteurs ont voulu raconter : rendre justice à un grand républicain trop peu connu, parler aussi de sa vie familiale, de son appartenance à la Franc-maçonnerie, de ses liens avec les cercles intellectuels, scientifiques ou littéraires. Cet ouvrage se lit comme un roman à rebondissements. Emmanuel Arago méritait cet hommage.

Jean-Robert RAGACHE
contact@marenostrum.pm

Baquiast, Paul & Sabot, Bertrand, “Emmanuel Arago ou Le roman de la République”, Le Félin, “Biographies”, 22/04/2021, 1 vol. (324 p.), 25,00€

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