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Entrepreneur actif, voyageur tout à coup confiné, Aziz Keftouna se lance au printemps 2020 dans l’écriture de son tout premier roman. Et il faut reconnaître que cette tentative est une réussite.
Si l’auteur se présente volontiers comme autodidacte, l’avant-propos qui le montre en recherche de son incipit, témoigne, non sans humour, d’un sérieux bagage littéraire classique, mais aussi contemporain.
De son personnage principal, narrateur à la première personne, à travers les épisodes qui vont suivre, nous ne saurons ni l’identité ni le passé, ni le motif ou la durée de sa condamnation à une peine d’emprisonnement « Enfin libre », pense-t-il, en pénétrant dans les quatorze mètres carrés de sa cellule. « Je ne veux surtout pas tuer le temps, ni même le blesser, mais simplement l’oublier. » (p. 13).
Et de s’enquérir très vite de la bibliothèque : il veut lire, seulement lire ! Les œuvres complètes de Balzac, Zola, Proust sont faites pour lui !

Nous allons le suivre dans un long voyage introspectif et des rencontres contraintes avec ses compagnons de détention. Le décor ne nous rappelle en rien les images sordides que nous envoient régulièrement les médias sur les grandes centrales telles Fresnes ou les Baumettes. Et le personnel se montre plutôt bienveillant. Nous sommes dans une prison modèle, voire idéalisée. La surpopulation carcérale n’est pas le centre d’intérêt de l’auteur dans cette première œuvre.
Des centres d’intérêt, pourtant, Aziz Keftouna en a de multiples : la lecture, le cinéma, la musique, les évènements géopolitiques du Proche-Orient… Au fil des arrivées dans la cellule du narrateur, on les découvre. Alors que les pages se parsèment de références littéraires, de noms d’artistes ou de musiciens contemporains, chacun des hôtes de passage martèle son hobby ou son obsession. Nous ne saurons pas grand-chose d’eux en dehors de quelques traits physiques et ce qui les caractérise vraiment : leur passion.
La raison de leur peine carcérale n’est jamais évoquée.
Défilent JR, inconditionnel du septième art dont il est l’encyclopédie ambulante, « Blondie » le migrant syrien spécialiste de sa région natale et des conflits du monde arabe, Omar, fan de musiques afro-américaines, grand collectionneur de vinyles… Tigran, capable de jouer aux échecs à l’aveugle ! Et Socrates capable de la plus discrète des évasions… D’autres encore…
Chacun à sa manière incarne une parcelle de cet univers auquel le personnage principal appartient, tout en cherchant à y échapper. Pourtant aucun n’établit un véritable dialogue avec lui.
Sans violence ni rejet mais asocial, il ne désire que l’isolement, se leste de bouquins lors de chaque passage à la bibliothèque. « La liberté, c’est mon emprisonnement, et mon emprisonnement, ma liberté » (p. 100)
Aziz Keftouna en faisant de son narrateur ce personnage résolument replié sur lui-même, difficilement enclin au dialogue, dans ce lieu clos, l’utilise comme un prétexte. En fait, il lui permet de servir de révélateur de l’aptitude principale de ces compagnons provisoires. Et on se prend à rêver d’un monde où ces individus, détenteurs de connaissances ou de savoir-faire, pourraient trouver une juste place et éviter de sombrer dans la délinquance… La sortie est le moment de toutes les espérances. Mais le passif sera le boulet à traîner.

L’écriture de l’auteur entrelace adroitement les divers niveaux de langage. Style parfois très recherché, mais aussi courant, voire familier et on « entend » jusqu’à l’accent populaire ou celui qui marque l’origine dans la présentation des codétenus.
Son narrateur se veut solitaire, perché sur le « lit du haut », mais il n’est pas dépressif. L’humour reste présent jusque dans l’amusante intégration de multiples figures de style. Certes, Oxymore devient le nom d’un sympathique surveillant. Mais elles sont là surtout pour nous rappeler que détenir le langage et savoir le décrypter, c’est disposer d’un bien précieux.

On peut penser qu’avec une telle maîtrise du sien, Aziz Keftouna nous réserve dans l’avenir de bonnes surprises. Son tout premier livre, que le présent de l’indicatif actualise se lit, non seulement avec intérêt mais, aussi avec un réel plaisir.
Merci aux éditions de L’Harmattan de lui avoir ouvert le champ des possibles !

Christiane SISTAC
articles@marenostrum.pm

Keftouna, Aziz, « Enfin libre », L’Harmattan, « Rue des Écoles. Littérature », 27/04/2021, 1 vol. (123 p.), 14,50€.

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