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Spiritualité et désamour : Le parcours initiatique de Sophia

Shumona Sinha, Souvenirs de ces époques nues, Gallimard, 14/03/2024, 1 vol. 21€.

Shumona Sinha est indienne d’abord. Française surtout. Dans son dernier roman, Souvenirs de ces époques nues, elle nous emmène via le parcours de quatre personnages clés (Sophia l’héroïne, Markus le DJ, Sam l’adolescent indien qui survit grâce aux petits boulots, et Kate l’Américaine fonceuse) dans un ashram d’abord, avec ses règles strictes, dépouillement obligé, ses rituels pesants, l’obéissance quasi absolue au guru. Le voyage ne fait que commencer, tenons-nous à la rampe, cela va vite devenir vertigineux puisque nous n’avons pas les codes, simplement fascinés par le côté marketing de l’affaire : nudité, simplicité, spiritualité. Tout devra être exploré. Sophia est à la fois dedans et dehors, vigilante, reluquant Markus : un être si solaire qu’elle approche, qu’elle perd, et qu’elle retrouve via les réseaux sociaux. Qu’elle perd à nouveau.

Un voyage multiple

Par-delà d’une idylle qui se dénoue en une trame désordonnée, par-delà les états d’âme évoqués, travaillés, livrés à nu, à brut, qu’en est-il de toutes ces trajectoires, ces hommes et ces femmes qui, au sommet de la gloire, passent le portique de l’ashram ? Comment ces ashrams sont-ils financés, qu’est-ce que l’hindouisme ? Qu’impose-t-il depuis si longtemps ? Pavé de belles intentions, le prétexte romanesque ouvre sur de nombreuses questions, de nombreux savoirs qui nous sont relativement étrangers, et de nombreuses critiques aussi, notamment cette haine des Musulmans et des traitements subis. Néanmoins, il y a bien un abîme qu’il faut tenter de combler dès lors que les repères sont absents, en tout cas de moins en moins visibles. Alors pourquoi pas une expérience dans un espace très codifié, silencieux, yoga à la clé ? Je pense que la force de ce roman tient surtout sur le triptyque propre à notre époque : liquidation d’un mode de vie (à l’occidentale), d’une attente (vivre quelque chose de différent), exploration d’un ailleurs et de ses déconvenues (choix de l’ashram), et constat, cœur qui palpite, invite à l’écrire. Qu’attend-on de l’amour alors que nous avons fait le deuil de l’amour ? Tant de portes se sont ouvertes, tant de tabous tombent les uns après les autres, et l’amour alors ?

Une leçon de vie

Apprenons à vivre avec nous-mêmes, et de naufragé(e) sur terre, devenons notre premier passant, notre première inspiration. Notre première consolation. Tel serait le point d’orgue de ce roman aux multiples facettes.

Maintenir un équilibre parfait, rester digne, la tête haute. C’est ce qui lui convient ce rôle de l’héroïne malheureuse, de la tragedy queen. La désamoureuse est une ascète, orgueilleuse d’être dépouillée, d’être ramenée à elle-même et de ne rien attendre.

Une cavalcade littéraire

Désamoureuse certes, ascète certainement ! Qu’est-ce qui se joue dans ce roman qui palpite au gré du vent, des rencontres, et du temps qui passe ? N’est-ce pas l’amour du rythme, de la phrase qui roule et qui nous emporte ? Des éveils maritimes comme Rimbaud les chante, des « aubes navrantes », des « nettoyages intérieurs » ou du « ressac des mots », qu’est-ce qui enchante Shumona ? N’est-ce pas l’amour de littérature, l’amour inconditionnel de la littérature qui lui offre et le meilleur et le pire… Un voyage aux multiples facettes qui lui permet et de décoller et d’emporter son lecteur dans le ciel oriental. A nous de faire le voyage avec elle, à nous de l’accompagner encore une fois, non pas en la lisant une fois, deux fois, mais peut-être des dizaines de fois. Alors peut-être que ce voyage-là aura un autre goût, non pas « d’orange amère » mais de croissant bien chaud, et « de soleil éblouissant ». « Bientôt l’avion va décoller. Bientôt, la Terre te sera plus légère. »

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Rarement un roman ne donne l’impression d’entrer à la fois dans une maison, un village et une mémoire comme Kaïssa, chronique d’une absence.

Dans les hauteurs de Kabylie, on suit Kaïssa, enfant puis femme, qui grandit avec un père parti  en France et une mère tisseuse dont le métier devient le vrai cœur battant de la maison. Autour d’elles, un village entier : les voix des femmes, les histoires murmurées, les départs sans retour, la rumeur politique qui gronde en sourdine. L’autrice tisse magistralement l’intime et le collectif, la douleur de l’absence et la force de celles qui restent, jusqu’à faire de l’écriture elle-même un geste de survie et de transmission.

Si vous cherchez un roman qui vous serre le cœur, vous fait voir autrement l’exil, la filiation et la parole des femmes, ne passez pas à côté de Kaïssa.

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