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Dans ce deuxième roman, Cécilia Castelli dresse un portrait contemporain et envoûtant de l’Île de Beauté avec ses paysages magnifiques, ses mentalités orageuses, ses héros partagés entre la vie et la mort, la liberté et le sens de l’honneur. Superbement écrite, cette histoire nous rappelle qu’à travers les changements dus au progrès, l’île n’a rien perdu de son âme.
“Vous êtes brillants mes enfants… Vous êtes les frères Soleil qui illuminent ma vie. Le souffle de mes vingt ans.” Qui sont ces fils d’Hélios chéris par leur mère ? On pourrait penser qu’il s’agit de petits enfants sages, tendres et innocents. En réalité, s’ils sont solaires – mais comment ne pas l’être quand on est né sur l’île de beauté et qu’on a grandi sur les criques au milieu des coquillages, les pieds dans les aiguilles de pin et la tête ivre d’eau de mer et de ciel bleu ? – le lecteur découvre au fil des pages qu’ils cachent bien leur jeu. Ce à quoi on pourrait s’attendre, connaissant la littérature liée à la Corse ; en commençant par “Mateo Falcone”, jusqu’au “Serment de la chute de Rome” sans oublier les héroïnes telles que Colomba : vêtues de noir, solitaires, un tant soit peu sorcière. La Corse ne fait pas de cadeau, surtout aux fratries élevées dans la tradition de la solidarité.
Est-ce l’effet calcinant du soleil, l’âpreté de la langue aux accents vindicatifs, ou la dureté de la roche des montagnes ? Le fait est que passé les premières réactions à fleur de peau, on s’y brûle comme en enfer… Si on adore le cadre pittoresque, les paysages hédonistes, les habitants hauts en couleurs au caractère trempé dans l’acier, on craint tout autant les nuits mystérieuses dans les criques où ont lieu des trafics malhonnêtes, la lutte incessante et étouffée de la tradition contre la modernité, l’âme monolithique des enfants du pays.
Qu’adviendra-t-il de Baptiste l’aîné amoureux d’une Arabe, Christophe, le gardien sédentaire de l’île et de ses traditions, leur cousin Rémi à l’âme métissée, né sur le continent mais déçu par son voyage à Paris, nostalgique de ses racines au point de retourner au pays ? Trois enfants insouciants devenus adolescents : le traître, l’intégriste, l’hybride. Élevés dans la tradition par des tantes superstitieuses, choyés par des mères plus ou moins libérées du poids de la tradition, parviendront-ils à s’épanouir à l’intérieur du cercle magique ? Comme souvent dans ces sociétés patriarcales, les pères sont absents, éloignés, remplacés par des solitaires fourbes et malhonnêtes fiers de jouer le rôle de parrain ; si une malédiction pèse sur la famille, qui la transmet ?
On s’attend à une issue favorable mais l’atavisme et le déterminisme semblent plus forts. À défaut de changer les traditions, peut-on se libérer du poids des ancêtres ? Non loin de là, “Le soleil des Scorta” échauffe les esprits… La xénophobie conduit au pire, et nous rend d’abord étranger à nous-mêmes, créant une scission au cœur de l’homme.
Le style limpide fait corps avec la nature et traduit merveilleusement bien la beauté des paysages se durcissant au fur et à mesure que les adolescents mûrissent et deviennent des hommes, au travers d’un rite initiatique des moins surprenants. C’est alors que la brièveté de la syntaxe épouse les certitudes, l’inévitable, le fatum.
À la croisée des possibles, la tragédie naît d’un infime détail, d’une interprétation maladroite de ce que veut l’autre que l’on croyait si bien connaître. Cela nous dédouane-t-il de notre responsabilité ?

Marie-José DESCAIRE
contact@marenostrum.pm

Castelli, Cécilia, »Frères Soleil », le Passage, »Littérature, 20/08/2020, Disponible, »1 vol. (280 p.) , 18€

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