À quoi vont ressembler les guerres de demain ? Thomas Gomart, historien, universitaire, qui a enseigné entre autres à Panthéon Sorbonne et à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, vient de publier, après un grand nombre de livres traitant de géopolitique, un sixième ouvrage intitulé : « Les guerres invisibles » qui tente de répondre à cette question. Depuis avril 2015, il est directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI).
L’objectif de cet essai est de rendre visible et compréhensible le mécanisme de la compétition des puissances. L’auteur nous précise que la politique internationale est un rapport de force avant d’être un débat d’idées, et que l’art de la dissimulation est consubstantiel à l’exercice de la domination.
Désormais « tout effort de prévision à long terme se construit autour de deux thèmes prédominants : le changement climatique et la croissance démographique. » Les formes de guerres changent. Si elles sont toujours militaires, elles deviennent économiques et environnementales, financières et numériques. Thomas Gomart constate que 24 formes de guerres ont été conceptualisées et dénombrées par des officiers Chinois dans un livre intitulé : « La guerre hors limite », qui va de la guerre classique à la guerre nucléaire, en passant par la guerre économique ou cybernétique.
Les puissances qui sont les mieux préparées sont celles qui gèrent le mieux les interfaces civiles et militaires, puisque l’innovation vient maintenant des milieux scientifiques civils et ruissellent vers le militaire. Les pays les mieux préparés sont évidemment la Chine et les USA. Ils développent un complexe militaro-numérique très puissant et prennent une avance considérable sur le reste du monde. Si nous connaissons en gros la puissance américaine, il n’en est pas de même pour la Chine dont le développement depuis ces 20 dernières années est en pleine accélération et prend l’ascendant, que ce soit avec l’intelligence artificielle, la capacité de super calcul ou l’informatique quantique. Les USA, quant à eux, sont très puissants en matière de semi-conducteur (Taïwan est un élément clé de la production de semi-conducteur) et, même si cela ne se voit pas, ils ont repris de l’avance en matière spatiale grâce à des investissements massifs publics privés. On constate que la Chine a ravi la place de n° 2 à l’union Européenne et convoite la place de n° 1.
L’auteur craint ainsi, ce que Graham T. Allison appelle « le piège de Thucydide », qui consiste pour une puissance installée à faire une guerre préventive à une puissance émergente de peur qu’elle ne lui ravisse la première place, à l’instar de la Guerre du Péloponnèse entre Sparte et Athènes.
On voit facilement l’analogie entre la Chine et les USA. Et pour le polémologue et sociologue américain Graham T. Allison, la pente est presque inéluctable…
Désormais, le jeu international est à la fois la coopération et (surtout) une compétition entre les puissances. L’auteur indique que les USA et la Chine subordonnent leurs politiques climatiques et numériques à leurs rivalités stratégiques. On voit que les formes de conflictualités ont changé et que la cybersécurité est cruciale : c’est un enjeu stratégique et économique majeur.
Outre la rivalité Chine-USA, l’auteur pointe comme autres sources de conflits : les inégalités qui sont le reflet de la hiérarchisation du monde et qui provoquent des migrations qui sont vues, par les uns comme une chance économique, et par les autres comme une menace identitaire. Ce qui oppose « les gens de quelque part à ceux de nulle part. » De même, nous voyons les répercussions de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la compétition des puissances. Face à ces inégalités, à ces ruptures technologiques, à la concurrence spatiale, à la guerre diplomatique, psychologique, virtuelle, de contrebande, de réseau, monétaire et financière, l’auteur détaille les intentions de la Chine, des États-Unis et de l’Union Européenne. Selon la maxime de Von Moltke le jeune (1848 -1916) : « Il faut apprécier sainement ce que l’on voit et deviner ce que l’on ne voit pas ».
L’auteur conclut par quelques lignes sur une nécessaire grande stratégie pour la France.
La lecture de cet essai est réellement captivante, argumenté d’analyses très documentées et parfois glaçantes où l’on voit que Thomas Gomart souhaite mettre la thématique de la conflictualité au cœur du débat public car, plus que jamais, le vieil adage latin : « si tu veux la paix prépare la guerre », est d’actualité.
Dominique VERRON
contact@marenostrum.pm
Gomart, Thomas, « Guerres invisibles : nos prochains défis géopolitiques », Tallandier, « Essais », 21/01/2021, 1 vol. (315 p.),20,90€
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