L’histoire des enfants intéresse peu les historiens. C’est une lacune qu’Éric Alary s’efforce de combler dans son ouvrage éponyme, au travers d’une périodisation qui s’étale de la Belle Époque à nos jours.
La Belle Époque ou les origines
Plus que les époques qui l’ont précédée, cette période de l’histoire manifeste un intérêt accru pour les enfants, ce qui permet à Éric Alary de commencer par elle. C’est à ce moment-là qu’apparaît le terme de puériculture : des spécialistes conseillent les mères sur l’allaitement, les soins à donner au nouveau-né, la santé (on déclare la guerre aux microbes) bien que l’on observe une disparité entre la bourgeoisie et les classes populaires. On crée aussi des « salles d’asiles », ancêtres des écoles maternelles. Avec les travaux de Maria Montessori une nouvelle méthode éducative, fondée sur l’observation de l’enfant, voit le jour. L’apparition du scoutisme et la réflexion pédagogique témoignent de la place nouvelle accordée à ce dernier, auquel on veut assurer le meilleur avenir possible.
La Grande Guerre
L’école a pour mission d’aider les enfants à appréhender les émotions et les angoisses de la guerre. Leurs longues journées sont ponctuées par des jeux, dans la nature en milieu rural, tandis que ceux des villes connaissent le patronage et les colonies de vacances. Les mouvements scouts sont investis d’un côté par les catholiques, de l’autre par le PCF. La Sécurité sociale, avec en particulier la création des Allocations familiales, aide les foyers. Les enfants deviennent une cible commerciale. Les jouets se popularisent, ainsi que les distractions. Les mères accouchent dans des cliniques, ce qui fait baisser le taux de mortalité maternelle et infantile. Le baby-boom incite à créer des jardins d’enfants et diverses aides, comme l’allocation logement ou les cartes pour familles nombreuses. En 1947, on crée les diplômes de pédiatre et puéricultrice. La médicalisation des enfants s’accentue, de même que la vulgarisation de l’information les concernant, avec des ouvrages comme ceux de Laurence Pernoud, même si c’est moins évident dans les zones rurales.
Les années noires de l’Occupation
L’arrivée des armées allemandes conduit les Français à l’exode, exposant les enfants à la faim, au froid, à l’insécurité. Beaucoup d’entre eux sont perdus définitivement, d’autres se retrouvent orphelins. Certains, placés en famille rurale, répondent au trauma par leur mutisme ou leur agressivité. Ils manquent de confiance en eux, devant l’absence de solidarité ou le spectacle de la mort. La vie quotidienne sous Vichy bouleverse la natalité infantile. Les enfants des villes souffrent de malnutrition ; leur équilibre physiologique précaire conduit les autorités à multiplier les activités sportives sans tenir compte de leur état de santé. À Noël, il n’y a rien au pied du sapin. Mais le pire concerne les enfants juifs ou tsiganes, victimes de rafles et de déportation, qui subissent des conditions sanitaires épouvantables. Des adultes mettent en place des filières pour leur permettre d’échapper à la mort qui les attend. La fin de la guerre n’a rien d’idyllique. Les bombardements alliés accentuent les risques et la précarité, ce qu’exploite le gouvernement de Vichy. Perpétré par les Allemands, le massacre d’Oradour sur Glane atteint le point culminant de l’horreur. À la Libération, en revanche, ce sont les « enfants de Boches » qui subissent la vindicte des populations.
Les décennies de l’après-guerre
Au cours des années 1950-1960, la place de l’enfant progresse au sein de la famille, et cette avancée s’avère irréversible. Les événements de mai 1968 contribuent à redéfinir la relation adultes/enfants au sein de la famille et de la société. De nouveaux loisirs permettent de construire l’image d’une famille modèle et accomplie, dans laquelle l’enfant joue un rôle clé. Le plan Marshall a permis à la France de se reconstruire sur le plan économique, tandis que les progrès de la psychologie se sont attachés à la reconstruction des enfants. Mais le début des années 1950 est marqué par une crise du logement, en dépit de l’érection de « cités d’urgence », et les difficultés de collecte du lait. Les enfants privés de chauffage souffrent souvent de pathologies comme la tuberculose. Avec l’émergence du concept de traumatisme, on assiste à la création de l’idée universelle d’intérêt de l’enfant, même si l’histoire des orphelins, ces invisibles de l’Histoire, reste à écrire. Les conséquences de la déportation, qui a décimé les familles juives, s’avèrent tragiques. Certains enfants ne retrouvent qu’un parent. D’autres deviennent l’enjeu de polémiques, notamment avec les familles d’accueil qui voudraient les garder. On assiste à la création, en cette période de délinquance juvénile, d’une nouvelle catégorie de magistrats, les juges pour enfants. La vie spartiate des villages s’améliore durant la décennie suivante, avec l’installation de l’électricité, de l’eau courante, et parfois du téléphone, et enfin de la télévision, qui se répand dans les années 1970, rendant leurs conditions de vie meilleures. Dans certains départements éprouvés par la guerre et qui manquent de matériel scolaire, s’organise une lutte contre l’absentéisme scolaire.
Retour à la normale : l’idée de bonheur
L’école a pour mission d’aider les enfants à appréhender les émotions et les angoisses de la guerre. Leurs longues journées sont ponctuées par des jeux, dans la nature en milieu rural, tandis que ceux des villes connaissent le patronage et les colonies de vacances. Les mouvements scouts sont investis d’un côté par les catholiques, de l’autre par le PCF. La Sécurité sociale, avec en particulier la création des Allocations familiales, aide les foyers. Les enfants deviennent une cible commerciale. Les jouets se popularisent, ainsi que les distractions. Les mères accouchent dans des cliniques, ce qui fait baisser le taux de mortalité maternelle et infantile. Le baby-boom incite à créer des jardins d’enfants et diverses aides, comme l’allocation logement ou les cartes pour familles nombreuses. En 1947, on crée les diplômes de pédiatre et puéricultrice. La médicalisation des enfants s’accentue, de même que la vulgarisation de l’information les concernant, avec des ouvrages comme ceux de Laurence Pernoud, même si c’est moins évident dans les zones rurales.
Des difficultés qui se résolvent peu à peu
Si le bébé se trouve désormais mis au centre, des problèmes subsistent, en particulier le statut des mères célibataires. Avec l’arrivée de la contraception, puis de l’IVG, grâce aux combats menés par les féministes, le statut de la famille a changé depuis 1968, et l’enfant désiré est considéré comme le fruit d’une relation amoureuse. Choyé, dorloté, il incarne le bonheur familial et nécessite un investissement conséquent de temps et d’argent, destiné à unir le couple. En revanche, les enfants métis continuent à être rejetés, et dans certains départements d’Outre-mer, des projets comme le déplacement massif d’enfants indochinois ou réunionnais vers la métropole, en vue de leur inculquer la culture coloniale, fondée sur la supériorité de la race blanche, dans un élan d’utopie pédagogique, constituent un scandale majeur.
Le règne de l’enfant roi : progrès ou régression ?
Aujourd’hui, les enfants trop choyés, dans une période où raison du travail des femmes et la multiplication des modèles familiaux constituent la nouvelle norme, font aussi l’objet de suivi psychologique. Les droits de l’enfant apparaissent comme une évidence et donnent lieu à une convention internationale. En 1946, la création de l’UNICEF l’envisageait comme un sujet doté de composantes affectives, sociales et cognitives. En 1970, la loi met l’accent sur l’obligation parentale de préserver la santé et la sécurité des enfants et de sanctionner les adultes défaillants. On écoute davantage sa voix, alors que l’accélération des divorces fait parfois de lui l’otage de ses parents. Ceux-ci apparaissent plus à l’écoute, mais les enfants des années 2000 contestent de plus en plus leur autorité. En même temps, la filière asiatique à bas prix et le marketing les transforment en consommateurs de jeux et de vêtements, de plus en plus tentés par les achats sur Internet. Le livre décline toutes les difficultés des années 2000, réformes scolaires, inégalités sociales, orgie d’activités ou problèmes de surpoids, et se penche également sur la question des enfants handicapés.
Très clair et agréable à lire, le livre d’Éric Alary, docteur et agrégé d’histoire, envisage ce sujet d’une manière rarement traitée par les historiens, et passe avec aisance de l’histoire générale à l’histoire intime. Il montre comment le statut de l’enfant obéit à chaque époque à des considérations sociales et idéologiques, pointe les inégalités qui subsistent, et envisage de façon problématique son histoire récente, ouvrant la voie à d’autres chercheurs. Un livre aussi utile que passionnant.
Alary, Éric, Histoire des enfants : des années 1890 à nos jours, Passés composés, 09/02/2022, 1 vol. (334 p.), 23 €.
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