Iannis Roder, La jeunesse française, l’école et la République, Editions de l’Observatoire, 31/08/2022, 1 vol. (220 p.), 19€.
L’école française va mal. Ce constat, si souvent répété et justifié à intervalle régulier par les classements internationaux chargés d’évaluer les performances des élèves a fini par devenir un lieu commun journalistique. Mais comme pour la question du réchauffement climatique, la multiplication des mises en garde ne va pas nécessairement de pair avec une réaction à la hauteur du problème soulevé. Comme si les lanceurs d’alertes, au premier rang desquels figurent les enseignants confrontés à la réalité du terrain, étaient voués à demeurer d’impuissantes Cassandre. Les récupérations idéologiques, d’un bout à l’autre du spectre politique, n’aident en rien à envisager sereinement la question. Chacun reste dans son couloir : à droite revient le petit couplet décliniste du « c’était mieux avant » et à gauche, on ferme souvent les yeux sur un certain nombre de dérives par crainte de stigmatiser certaines parties de la population.
Au-delà des clivages idéologiques
Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie dans un collège classé REP (Réseau d’Éducation Prioritaire) sait bien de quoi il parle et a déjà publié plusieurs ouvrages sur les questions éducatives. Depuis La fabrique du crétin de Jean-Paul Brighelli (Éditions Jean-Claude Gawsewitch, 2005) il ne se passe pas une année sans que ne paraissent témoignages ou pamphlets plus ou moins véhéments sur le sujet. La jeunesse française, l’école et la République n’est pas une énième prise de position dans un débat qui pourrait paraître insoluble. En historien, Iannis Roder s’attache à fournir des chiffres et des analyses sourcées pour permettre à chacun de se faire une opinion au-delà des querelles partisanes. S’il relate ici ou là quelques anecdotes tirées de son expérience personnelle, l’essentiel de son ouvrage se veut une synthèse, la plus objective possible à destination des parents, des décideurs et de tous les citoyens concernés qui voudraient se faire une idée concrète et nuancée de la situation.
L’échec du modèle républicain
La première partie dresse un état des lieux implacable : au-delà de la sempiternelle « baisse du niveau », c’est l’écart de plus en plus marqué entre les meilleurs élèves et les plus fragiles qui fait de la France le pays de l’OCDE où l’origine sociale pèse le plus lourd dans la réussite scolaire. Les élèves les plus défavorisés économiquement le sont aussi sur le plan culturel. Dans certains territoires, l’absence de mixité sociale se double bien souvent d’une absence de mixité culturelle. L’école doit permettre une ouverture sur le monde, libérée du poids des croyances familiales. C’est ce que la philosophe Catherine Kintzler a nommé « la respiration laïque », « qui permet à chaque enfant devenu élève de se confronter durant les années de sa scolarité, à des enseignements fondés sur la science et la raison et de se voir proposer – et non imposer – autant de découvertes que son milieu ne lui offre pas nécessairement ». Mais force est de constater que l’école républicaine échoue à tenir cette promesse. La faute n’en est pas entièrement imputable à l’institution. Les causes sont multiples, ce qui rend la résolution du problème d’autant plus délicate. Comme le titre Iannis Roder, au début du deuxième chapitre « l’école n’est pas coupée du monde ». Selon les familles, les enfants connaissent des schémas éducatifs très dissemblables. Et sur cela, l’État n’a quasiment aucune prise.
La difficulté de fonder une culture commune
En rentrant chez eux, une majorité d’élèves sont livrés à l’emprise des écrans. Une étude de Google a montré que le temps d’attention moyen des nouvelles générations sur Internet est de neuf secondes, au-delà desquelles le cerveau décroche. Pas étonnant dans ces conditions qu’une grande partie des enseignements professés en classe n’aient laissé aucune trace durable. « Ce qui frappe le professeur qui, au quotidien, travaille avec des adolescents, c’est la difficulté que rencontrent certains jeunes à dire simplement ce qu’ils ressentent ou à exprimer une pensée articulée et logique qui serait le fruit d’un raisonnement construit. » Manque de vocabulaire, incapacité à mémoriser sur le long terme… Un sondage de 2018, réalisé par l’IFOP a révélé que 21 % des jeunes de 18 à 24 ans disaient n’avoir jamais entendu parler du génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Est-ce le mot génocide qui était ignoré par un cinquième des sondés ou alors l’événement lui-même ? Dans tous les cas, le résultat laisse songeur…
La laïcité en question
La deuxième moitié de l’ouvrage revient sur le principe de laïcité, l’un des trois piliers de l’école française depuis les lois Ferry et qui semble bien souvent mal compris quand il n’est pas ouvertement critiqué. Une fracture générationnelle tend à s’affirmer. Les jeunes sont beaucoup moins convaincus que leurs aînés par le modèle démocratique. Frédéric Darbi a montré dans son récent livre La Fracture (Les Arènes, 2021) que 47 % des moins de 35 ans considéraient comme bon un système dans lequel le chef n’a à se préoccuper ni du Parlement, ni des élections… Dans son sillage, Iannis Roder s’interroge sur cette défiance toujours plus grande à l’égard du système, visible jusque dans les salles de classe. Dans les quartiers les plus défavorisés, on assiste à un « réinvestissement du religieux » qui s’accompagne d’une remise en cause de plus en plus fréquente de la parole des professeurs et du contenu même des enseignements. L’une des conséquences, renforcée encore depuis l’assassinat de Samuel Paty, est la mise en place d’une forme d’autocensure ; beaucoup de professeurs préférant éviter certains sujets afin de ne pas générer de polémique. Enfin, fait nouveau, la critique du principe de laïcité qui interdit par exemple depuis 2004 à l’école le port de signes religieux n’est plus seulement le fait d’élèves mais aussi d’enseignants, souvent jeunes, qui défendent une vision plus libérale et anglo-saxonne de la liberté religieuse.
Iannis Roder ne propose pas de solution miracle qui viendrait d’un coup de baguette magique résoudre tous les problèmes. Mais la prise de conscience étant la première étape de l’action, force est de constater que son livre réussit son objectif de nous forcer à entamer un nécessaire processus de réflexion.
Chroniqueur : Jean-Philippe Guirado
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