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Un titre qui résonne comme un appel pour le lecteur.
Simple constat ? Ou cri de détresse ?
Que veut nous dire l’auteur au travers le long soliloque de ce jeune adulte réfugié dans la chambre d’une fille qui l’a aimé alors que des factions djihadistes ont envahi la ville où il réside ?

Mbarek Ould Beyrouk, écrivain mauritanien, se dit « francoscribe », tant il aime la langue française qui lui a permis d’exprimer ses talents de conteur dans ses œuvres précédentes. Il est, à ce jour l’auteur d’un recueil de nouvelles et de trois romans parus aux Éditions Elyzad.
En 2016, « Le tambour des larmes » a obtenu le « prix Hamadou Kourouma » et le « prix du roman métis des lycéens. » Aujourd’hui conseiller culturel de la présidence, Beyrouk vit à Nouakchott, et se plaît à passer des séjours dans le désert qui fait partie de « son espace naturel », bien plus vaste que la seule Mauritanie, puisque Beyrouk revendique aussi ses racines marocaines et maliennes.

En 2014, « Timbuktu, le chagrin des oiseaux », film franco- mauritanien d’Abderrahmane Sissako, tourné à Oualata sous protection de l’armée, récompensé par 7 césars en 2015, révélait au public français l’horreur qui s’abattait sur une ville malienne, occupée par des djihadistes, imposant l’application absurde et cruelle de la charia.
C’est une situation identique, au retour d’un séjour passé auprès d’un ami dans le désert, que découvre avec effroi le personnage anonyme du roman de Beyrouk paru en 2018.
Ce jeune journaliste, issu d’une famille bédouine lettrée et guerrière, a grandi dans la misère après la disparition de son père, parti « dans le grand Nord pour apprendre auprès de Cheikh Hammoni le traité de Khalil, le seul des « grands Livres » qu’il n’avait pas encore étudié. » Mais les sacrifices maternels lui ont permis de faire des études. Sa culture est occidentale et polymorphe. Il cite aussi bien « Troie », film américain de W Petersen (2004) et l’acteur Brad Pitt, que « La guerre de la fin du monde », œuvre de Mario Vargas Llosa parue en 1981. Il connaît le slogan de la terrible guerre civile d’Espagne « No pasarán » qu’il fait sien. Et il a partagé une jeunesse turbulente avec des amis aujourd’hui dispersés par leurs choix de vie.
Lui-même, en dépit des exhortations maternelles, a délaissé la foi et les traditions pour la presse people et l’appât du gain. Il a connu les soirées de la capitale, les filles attirantes sur la plage, l’illusion d’une notoriété et un mariage sans amour avec la frivole fille du maire, au détriment des sentiments partagés qu’il éprouvait pour la douce et ferme Nezha, dont le frère croupit injustement dans les geôles de Guantánamo.
C’est elle qui va lui offrir un fragile asile, alors que son retour dans la cité occupée comme sa situation sociale, font de lui une victime désignée pour la vindicte des « gardiens de la vertu » devenus en quelques heures « les sultans de la cité ». Dans l’attente de l’hypothétique retour de Nezha, et d’une possibilité d’évasion achetée, il se remémore les années écoulées, mais aussi sa glorieuse ascendance. On trouve l’histoire de son ancêtre Saint Nacer Eddine dans « Chroniques de la Mauritanie sénégalaise »», parue aux éditions Ernest Leroux, Cet ouvrage a été écrit en 1911 par Ismaël Hamet, alors officier interprète de l’armée française. Les larges passages en italique dans le livre de Beyrouk sont extraits du texte d’Amr El Ouay Nacer Eddine.
Si le terme de « Saint » reste un concept chrétien, ce mystique musulman du XVIIe siècle a bien existé. Il prêcha longtemps, « avant de constituer des troupes pour la bataille de l’esprit ». Il se révolta contre la traite des esclaves, tenta d’établir une théocratie sur les deux rives du fleuve Sénégal. Son appel au djihad souleva des dizaines de milliers de fidèles Maures et Wholofs, et se heurta à l’opposition des « Ghaffras, ces tribus guerrières qui gouvernaient par la force… et ont appelé à la guerre dont Nacer Eddine sera lui-même victime ».
Était-ce là déjà, dans cette volonté d’imposer aux autres sa propre conviction et ses certitudes « d’une société qui à ses yeux était juste, une société pour Dieu… « ? Était-ce là le germe du mal ?
Presque entièrement écrit à la première personne et au présent d’énonciation, le texte jette au visage du lecteur les questions comme les réponses, les contradictions, les souffrances morales et physiques d’un homme piégé et ses suppliques qui restent sans réponse. Mais c’est aussi un cri d’alerte de l’auteur.
Jusqu’à présent Beyrouk s’était refusé à écrire sur l’islamisme.
La matière de son œuvre, ce sont la vie et les traditions des tribus nomades, ce sont les paysages grandioses du désert, les oasis fertiles, les oueds, les lignes de dunes qui aimantèrent les passions de René Caillé ou de Michel Vieuchange , dont parlèrent si bien Théodore Monod et Antoine de Saint Exupéry.
C’est un univers aujourd’hui menacé, à la fois par les tentations d’une civilisation urbanisée où la tente, le griot et les djinns n’ont plus aucune place, où l’on vend aux touristes un désert dénaturé de sa vérité, et par la perspective d’un islam dévoyé par des fanatiques totalement dépourvus de culture et du sens du sacré.
Beyrouk le sait. En Mauritanie la très grande majorité des oulémas est favorable à un islam apaisé. Les femmes y adoptent rarement le tchador.

Mais la menace est partout pour cette population fracturée dans ses modes de vie, qui s’éloigne de la foi et des traditions séculaires. Et ce n’est qu’en soi que chacun doit trouver la force de faire face et d’affronter le mal pour le vaincre. Mais est-il encore temps ? Si « Je suis seul » apporte bien une réponse individuelle, elle semble d’un pessimisme abyssal.

Christiane SISTAC
contact@marenostrum.pm

Beyrouk, « Je suis seul », Ed. Elyzad, »Littérature », 12/09/2018, 1 vol. (107 p.), 14,00€

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