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Jérémie Gindre, Tombola, Zoé, 15/09/2023, 1 vol. (208 p.), 17€.

Le soir où Anna remporta un jambon à la place d’un téléviseur quarante pouces dans une tombola, un homme qu’elle connaissait à peine lui cassa une dent sans faire exprès« . C’est par cette phrase que débute la nouvelle « Plus d’espace pour les dindes » dans laquelle une jeune employée d’un parc animalier de seconde zone se retrouve à acheter un billet de tombola dans une obscure kermesse de village où l’a entraînée malgré elle Francis, le fauconnier, « un con qui se prenait pour un héros du Moyen-Âge«  . Le texte, plein d’humour, donne également une explication au titre du recueil de Jérémie Gindre. Cette tombola programmatique, c’est un peu celle du destin qui distribue ses lots au hasard, bonheurs ou malheurs, moments de doutes et épiphanies.

Anatomies de chutes

Le mot tombola dérive du verbe italien tombolare qui signifie dégringoler, chuter. Et en effet, l’imaginaire de la chute traverse l’ensemble des sept nouvelles qui composent le livre. D’abord au sens propre : la chute d’un marcheur dans les Hautes-Alpes qui va bouleverser la randonnée en solitaire de Zita, la chute d’un sapin sur le toit du chalet familial d’Espe, la truculente chute d’Anna après avoir reçu accidentellement en pleine face un fer à cheval lancé par son collègue fauconnier ou encore le pouce de Wim, tranché net par une scie circulaire…
Mais les dégringolades sont aussi plus métaphoriques. Toutes les nouvelles mettent en scène des personnages féminins à un moment clé de leur existence. L’auteur saisit admirablement le vertige de trajectoires personnelles en équilibre sur une ligne de crête et qui, à tout moment peuvent basculer d’un côté comme de l’autre. Dans la solitude ou à plusieurs, il s’agit de faire le point, à l’image de Saskia qui vient passer quelques jours chez son père après s’en être éloignée pendant plus de dix ans, où Willa qui découvre, en faisant du ménage dans le vieux PC de sa mère que ses parents aimaient se prendre en photo, nus, devant des monuments historiques. Incrédule, elle décide alors d’aller mener l’enquête sur place : « Quatre heures de voiture pour comprendre le pourquoi de ces fesses à l’air, et peut-être, percer le secret d’une vie épanouie. C’est peu ou beaucoup trop, mais comment savoir à l’avance ? » 

Paysages intimes

La nature est également au cœur du travail de Jérémie Gindre qui, en parallèle de ses activités d’écrivain, mène une carrière d’artiste plasticien. Dans ses installations, il questionne la manière dont l’homme, par le tourisme notamment, transforme et modèle les paysages. Dans Tombola, il est toujours question de voyages qui sont les catalyseurs des mutations qui s’opèrent à l’intérieur des personnages. Les textes conjuguent ainsi voyage extérieur et intérieur. La nature sauvage ou domestiquée, est décrite avec beaucoup d’acuité. L’auteur refuse les formules toutes faites, les descriptions convenues qui assécheraient les subtiles nuances du réel. Dans la nouvelle « Le Sifflet » , l’héroïne s’arrête devant une vieille bâtisse en pierre dont le toit a été rehaussé à l’aide de briques rouges, grossièrement assemblées avec du mortier. « Zita trouve d’abord ça bâclé, avant de réévaluer la chose sous l’angle du kintsugi, l’art japonais de recoller les céramiques cassées à la laque dorée » . De là même façon, le lecteur est amené à considérer les personnages, non pas taillés dans le marbre d’une belle unité psychologique, mais au contraire avec toute la complexité que leur confère les fragments épars de leur personnalité.

Si elles évoquent chacune à leur manière le thème de la chute, les nouvelles de Jérémie Geindre ne sont pas en revanche des nouvelles à chute. Leur intérêt réside moins dans les actions qui les structurent que dans leur capacité à disséquer le réel. Les situations de départ, où les personnages sont amenés à quitter le tracé rassurant de leur routine quotidienne, permettent de faire émerger des fêlures invisibles au premier regard. Avec Tombola, et pour le plus grand plaisir du lecteur, c’est un peu comme si Katherine Mansfield avait croisé la route de Nicolas Bouvier.

Image de Chroniqueur : Jean-Philippe Guirado

Chroniqueur : Jean-Philippe Guirado

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