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La correspondance intime entre François et Claude Mauriac dévoilée

François Mauriac, Je te dis toute ma tendresse, Albin Michel, 05/11/2025, 704 pages, 35€

Il y a correspondances… et correspondances ! Si tout au long de son existence, François Mauriac a échangé des lettres avec André Gide, Georges Duhamel ou Jean Paulhan, parmi d’autres, celles relatives à son entourage familial, sont bien différentes et pour tout dire, plus intéressantes.
En premier lieu, parce que les sujets évoqués avec ses pairs littéraires sont d’ordre essentiellement critiques teintés de paraître, tandis que ceux reliés à ses proches procèdent essentiellement de l’intime.
Pas de maîtres ni de déférence par exemple. Entre François, le patriarche, son épouse et son fils, Claude, on s’écrit entre très proches qui partagent un vécu et une mémoire.
Au point que l’implicite est omniprésent, comme l’explique le concepteur de l’ouvrage, car nombre de lettres adressées à l’un(e) ou à l’autre ne sont pas datées, preuves d’une relation épistolaire liée à tel ou tel événement récent, davantage qu’à une soudaine prise de contact.

Des échanges circonstanciés

Et puisque l’on évoque le maître d’œuvre du livre, il faut en préambule saluer tout son mérite, quand bien même son nom ne figure pas en première de couverture.
Car, s’il a parfaitement reconstitué la chronologie d’une correspondance, Philippe Baudorre, professeur émérite de littérature française à l’Université Bordeaux-Montaigne, a tout autant excellé dans l’art d’en relier les circonstances pour en agrémenter la lecture.
Ainsi de cet extrait du Journal de Bébé d’avril 1914, écrit par Madame Mauriac, que son fils Claude recevra en cadeau quarante ans plus tard, et qui démarre le premier chapitre du livre.

Bébé est né un matin de printemps. Je me souviens que lorsqu’il poussa son premier cri, deux merles éveillés par l’aube lui répondirent. Le grand accoucheur alla se coucher. C’était le 25 avril 1914. La sage-femme dira que Claude fût un bébé de 3kg 400 comme si une pareille aubaine ne lui arrivait pas tous les jours. Tout le monde arriva avec des fleurs.

Au gré des années, vont suivre des échanges par moments insolites, comme lorsque Claude, adolescent, émettra le désir de devenir plus tard aviateur. La réponse de son père sera aussi dissuasive que sans appel.

Entre reproche et encouragement

Je voudrais qu’à treize ans, tu fusses capable de comprendre que l’aviation n’est pas un métier. il n’y a aucun espoir que tu puisses être Lindbergh ou Pelletier d’Oisy. Tu imagines que pour conduire les avions postaux ou autres, on trouve des professionnels, des gens costauds, des mécaniciens, enfin ce que tu ne seras jamais.

Entre deux êtres souvent séparés par la distance, Vémars pour l’enfant, Paris et d’autres pérégrinations pour l’écrivain déjà renommé, les rapports oscilleront souvent entre l’élan et le reproche, l’encouragement et la critique, la confession parfois et le malentendu.
Ce sera comme l’explique si bien Philippe Baudorre, la feuille de température de leurs intermittences du cœur.
Voyant son fils relativement distant quant à la foi, le père s’efforcera de lui expliciter le bien-fondé d’un engagement spirituel.

Le catholicisme n’est pas un système de limitations, de défenses, il est amour. La grâce nous rend libres. On ne le comprend qu’à mon âge, lorsqu’on connaît le degré d’asservissement où l’accoutumance au mal nous abaisse. À vingt ans, c’est plus dur, concède-t-il, de comprendre les liens invisibles qui unissent pureté et liberté.

Autant d’efforts, d’arguties et de bienveillance somme toute, qui en dépit de marques de respect et d’attention réciproques, auront du mal à porter leurs fruits.
Fut-il reçu au baccalauréat avant de devenir docteur en droit, Claude Mauriac demeure un jeune homme triste et complexé, qui ne sort des bottes de son père que pour trouver péniblement sa pointure. Sincère, enthousiaste, frustré, emporté, souvent déçu par lui-même, il recherche sans cesse l’attention, la compréhension, la reconnaissance paternelle. Hélas, comme en attestent de nombreux échanges, François les lui donne d’une patte, en le griffant de l’autre.

"Bravo pour ton article !"

Plus sereines, voire élogieuses sont les lettres que Jeanne sa mère lui adresse relatives à ses débuts dans l’écriture. Par les pages du journal personnel que Claude lui a destinées et plus encore par son premier papier sur les Sokols, au Figaro.

Bravo pour ton article, mon petit Claude. Ton papa, moi, tes sœurs nous sommes enchantés. J’ai eu un coup de téléphone de Pierre Brisson – directeur du journal – pour me dire sa satisfaction, il devrait t’envoyer une dépêche.

La suite de cette correspondance aborde par intervalles l’essor d’une future carrière littéraire que le père encourage mais qui crée chez le fils une tension matinée entre désir de reconnaissance et besoin d’indépendance.
Mais l’un des principaux centres d’intérêt de cette correspondance est centré autour de la période d’occupation, que l’on parcourt comme un journal de la vie quotidienne durement vécue par chacun des personnages.
Un temps d’incertitude et de pessimisme, jusqu’à ce qu’un évènement inattendu ne vienne bouleverser la vie de Claude. Sous la férule et à l’instigation de Claude Guy, ancien des Forces Française Libres, celui-ci devient l’aide de camp du Général De Gaulle, ce qui ajouté à sa prolixe production littéraire, (Introduction à une mystique de l’enfer ; Jean Cocteau ou la vérité du mensonge, La trahison d’un clerc et un Aimer Balzac), lui voudra les louanges paternelles.

La tendresse pour commun dénominateur

Mon Claude tu as tout pour toi. Ne gâche rien dans un temps ténèbres d’où tu sortiras. Littérairement tu produiras l’essentiel à quarante-ans : j’en suis sûr. Si tu veux, tu peux du côté cinéma tenter de grandes choses. Il te faut réapprendre à prier et trouver une fille noble et intelligente, que tu aimeras au-delà de sa chair et qui te donnera des fils.

Avec le mariage de Claude en juillet 1951, s’ouvre la dernière partie de cette correspondance. Un échange épistolaire devenu moins fréquent à cause de la proximité de leurs domiciles parisiens… et du téléphone, qui donnera pourtant lieu de la part de François Mauriac à de profondes confessions telles qu’il les explicitera plus tard dans Nouveaux mémoires intérieurs.

Je ne saurais te dire comme je suis heureux ici, à Malagar. La solitude ce n’est pas assez dire qu’elle ne me pèse pas. Ces journées de silence avec le printemps glacé et pur derrière les vitres. Des serviteurs empressés mais invisibles, une maison chaude et pour moi vivante, la présence de Dieu, le consentement au sommeil quand ce sera l’heure de m’endormir en Lui.

Ce sera l’une des dernières lettres d’une correspondance de plus de cinquante ans dont la part de sincérité comme d’intimité n’a qu’un commun dénominateur : la tendresse d’une famille aimante par-delà toutes les vicissitudes de l’existence.

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